“Noces de crins” : les somptueuses fiançailles de Bartabas à la Villette
Dans un spectacle conçu avec élégance sur des musiques d’Arandel autour de l’œuvre de Bach, Bartabas fait se rencontrer les cavalières de l’Académie équestre de Versailles et les cavaliers du Cadre noir de Saumur, des écuyers experts et virtuoses du dressage et de sa transmission. La rencontre entre cavaliers et chevaux des deux écoles a bien eu lieu et un spectacle somptueux est né de cette rencontre, à découvrir jusqu’au 23 juin à la Grande Halle de la Villette.
Une heureuse rencontre
Le pari était risqué. En si peu de temps, il s’agissait de créer un spectacle avec deux des plus grandes écoles d’équitation et de dressage, le Cadre noir de Saumur, une école d’élite dont les cadres, héritiers d’une tradition militaire, forment les meilleurs écuyers à l’art du dressage et aux compétitions, et l’Académie équestre de Versailles, une école fondée par Bartabas et qui repose sur l’engagement des jeunes et la transmission d’un savoir-faire et d’un savoir-être uniques au monde dans le domaine de l’équitation et des arts. Des deux côtés, le goût de l’excellence et de la transmission, l’engagement total auprès de chevaux que l’on accompagne et que l’on respecte, l’exigence artistique et sportive sont les axes d’un travail de longue haleine et quotidien sur de longues périodes. Pour cet opus, Bartabas a eu la bonne idée de sélectionner des morceaux du compositeur Arandel qui travaille autour de l’oeuvre de Bach, adaptant les fugues, les préludes et les cantates du compositeur avec des instruments baroques ou classiques et des claviers électroniques. Le résultat est un spectacle de toute beauté, d’une grâce qui émane autant des chevaux à travers leurs figures que des cavaliers avec leur maîtrise.
Bach à tous galops
Jean-Sébastien Bach, adapté par la magie acoustique d’Arondel, est le fil conducteur du spectacle et sa rythmique, d’une modernité étonnante, le tempo des chorégraphies. D’un côté les jeunes cavalières de Bartabas, cheveux longs flottant au vent, se muent en escrimeuses de choc, l’épée pointée vers l’ennemi, sur des chevaux au poil brillant qui galopent harmonieusement. De l’autre, les étalons au poil sombre des cavaliers tirés à quatre épingles, sanglés dans un costume noir à épaulettes et boutons dorés, sur des chevaux rapides, qui font la courbette, la croupade, la cabriole. A la rapidité et la virtuosité de certaines figures qui font se croiser, tournoyer les montures dans une étourdissante spirale succèdent la lenteur suave des déplacements latéraux, la grâce dansée d’une décomposition des mouvements, pattes avant, pattes arrière, dans l’espace bi-frontal de la Grande Halle de la Villette.
L’art de la fugue
La fugue, dans sa diversité et sa répétition harmonique, est entièrement présente dans ces enchaînements somptueux à la précision et la minutie aristocratique. Cavaliers et cavalières, en selle ou derrière des chevaux, qu’ils guident avec une grande longe, sont les maîtres de cette cérémonie. La lumière épouse les ombres et caresses les flancs des chevaux, ensoleille les visages concentrés des cavaliers. Soudain, une nuée de jeunes poulains, dans une lumières spectrale, sont lâchés tels quels, seuls, au centre de la piste. La musique devient organique, comme au tout début de la création du monde. Ils gambadent en liberté, se hument, se frottent les uns aux autres, jouent, se roulent par terre en une primitive bacchanale. De chaque côté de la piste, de jeunes écuyères en jupe rouge viennent soudain faire une ronde au milieu des bêtes qui se lancent dans un galop juvénile et joyeux. Ce mélange de liberté et de contrainte, de fantaisie et de rigidité formelle, produit un spectacle lumineux et fort, inventif et classique, que l’on peut savourer à tout âge.
Hélène Kuttner
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