Nijinski, Baryshnikov, Bob Wilson et Lucinda Childs: “Letter to a Man”
Letter to a Man De Vaslav Nijinski Mise en scène de Robert Wilson Avec Mikhail Baryshnikov Du 15 décembre 2016 au 21 janvier 2017 Tarifs : 18€-36€ Réservation en ligne ou par tél. au 01.42.74.22.77 Durée : 1h10 Théâtre de la Ville |
Jusqu’au 21 janvier 2017 A l’Espace Pierre Cardin, le Théâtre de la Ville présente l’un des spectacles majeurs de cette saison. Extraits et échos des Cahiers de Nijnski, ce journal d’un « fou », résonnent avec la présence de Mikhail Baryshnikov, successeur de Vaslav Nijinski dans le rôle du plus grand mythe parmi les idoles de la danse classique. Ajoutez Bob Wilson pour la mise en scène et Lucinda Childs pour la chorégraphie, et le résultat passe « comme une lettre à la Poste ».
Comme d’habitude chez Robert Wilson, nous entrons dans une fabuleuse machine à images où la force sculpturale et plastique s’adresse autant à l’œil qu’à l’inconscient. Chez Wilson, l’humain transcende sa condition et accède au stade du mythe. C’est d’autant plus vrai qu’il met ici en scène un mythe vivant: Mikhail Baryshnikov.
Le visage comme ciselé, incroyablement expressif sous son masque apparent, Baryshnikov est ici un véritable Méphisto, et en même temps sa victime. Et s’il y a du texte dans Letter to a Man, il est toujours dit (et surtitré) en off, laissant toute la place à la présence gestuelle et chorégraphique d’un acteur-danseur accompli et éblouissant. Les plus grands de leurs époques En 1919, Vaslav Nijinski set met à écrire un journal. Alors que son esprit perd progressivement équilibre et cohérence, il couche sur papier un long monologue intérieur, dans une liberté des associations qui nous amène vers le cœur même de son imaginaire. Il s’y exprime avec la même liberté par laquelle il avait ouvert les chemins de la danse contemporaine, avec Le Sacre du Printemps et L’Après-midi d’un Faune. « Ma danse progresse, mes danseurs progressent… » écrit-il alors que ses pensées divaguent et ses humeurs deviennent imprévisibles. Mais l’idée de changer la danse ne l’a jamais quitté. Aujourd’hui, Baryshnikov incarne Nijinski. Les deux sont les plus grandes icônes masculines jamais sorties de l’école et du ballet du Mariinsky de Saint-Petersbourg, devenu le Kirov de Leningrad du temps de Baryshnikov. Tous les deux ont mené leurs carrières en Occident. Mais si le premier est arrivé avant la Révolution d’Octobre, le second a dû s’enfuir dans des conditions rocambolesques. Depuis peu, Baryshnikov, après une carrière stellaire dans le monde du ballet (New York City Ballet, ABT. ..) et un statut culte acquis en tant qu’acteur de cinéma et de télévision ainsi qu’au théâtre, retrouve le goût de sa langue russe natale et développe un art de l’acteur visuel. Fierté et fragilité Letter to a Man est le deuxième spectacle d’envergure, après The Old Woman, que Wilson et Baryshnikov conçoivent ensemble. On a parfois pu reprocher à Wilson d’appliquer à ses interprètes son obsession de la forme symbolique et du geste parfait. Mais quand il met en scène l’ancienne vedette du ballet, le design si méticuleux des tableaux libère une humanité qu’il n’a jamais cessé d’abriter, parfois en secret. Oui, Baryshnikov humanise l’art de Wilson. Le surréalisme et la folie ne peuvent que parler à ce metteur en scène qui a débuté dans la vie en tant qu’autiste. Après tout, il avait consacré à la perte du lien avec le monde la création qui l’a fait connaître en France à partir de 1971: Le Regard du Sourd. Dans l’adaptation des Cahiers, certains motifs, dits par Baryshnikov ou Lucinda Childs, sont répétés comme Nijinski pouvait ressasser ses relations tumultueuses à ceux qui l’accompagnaient dans sa carrière vertigineuse: Serge de Diaghilev, sa femme Romola et dieu… Wilson place Baryshnikov dans une ambiance de cabaret, ultime théâtre des illusions, où l’on se rend pour échapper au réel. Dans Letter to a Man, mots et images, corps et lumières entrent en fusion. Les images sont expressionnistes comme à la grande époque du cabaret, et pourtant dramatiques comme sorties de la tête de Nijinski: « Le Christ n’a pas souffert autant que moi. » Chaque ambiance dit le décalage, la fierté de Nijinski et son incroyable fragilité. Et soudain, la présence tellurique se dissout dans une réincarnation du jeune Micha, un petit saut apportant légèreté et verticalité. La parfaite élégance étudiée au millimètre englobe tous les âges et tous les états de Nijinski. Simplement assis sur une chaise, Baryshnikov impressionne par sa présence. Mais dans les images wilsoniennes, toute simplicité n’est qu’apparente. Un revers de la main droite en change la couleur, du blanc au rouge, avec la précision de l’un des claquements métalliques qui orchestrent la partition sonore. Un basculement des éclairages semble transformer cette plastique de Nijinski et la transporter dans un univers opposé. On peut aussi voir en cette incarnation une réminiscence au genre du magicien de cabaret. Mais le théâtre des illusions de Wilson parle ici du réel, du moins de ce que Nijinski en percevait. Trouble et éblouissement deviennent inséparables. Thomas Hahn [Crédits Photos : © Lucie Jansch] |
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