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“Némésis” : un superbe spectacle adapté du roman de Philippe Roth

© Simon Gosselin

Tout au long d’un spectacle fleuve où les sons, la musique et les images servent le jeu vibrant des comédiens, la metteure en scène Tiphaine Raffier, avec les musiciens des Miroirs Entendus, plonge dans le dernier roman de Philippe Roth qui interroge frontalement la maladie, la culpabilité, le rôle du divin et l’héroïsme dans l’Amérique en 1944. Une production ambitieuse et puissante qui jongle entre le roman et le théâtre. 

Un mal mystérieux

Bucky Cantor, un jeune professeur de gymnastique, qui se rêve entraîneur de haut niveau, anime avec ferveur un terrain de sport dans la ville de Newark, ville populaire du New-Jersey qui grouille de gamins prêts à shooter dans un ballon. Au cœur de cette communauté juive, les familles se réunissent très souvent et confient avec confiance leurs garçons à ce jeune professeur apprécié de tous, trop myope pour être envoyé dans l’armée libérant l’Europe en guerre. Nous sommes en 1944, l’Amérique se veut encore glorieuse et heureuse, et le sport est érigé en valeur mythique pour fortifier les corps, stimuler la compétition dans une société où la faiblesse ne doit pas exister. Mais une épidémie de poliomyélite commence à décimer les enfants avec une régularité inquiétante et le terrain de sport est gangréné par la contagiosité du mal.

À la recherche du coupable

© Simon Gosselin

D’où vient cette maladie ? Qui la télécommande ? Comme bien souvent, et nous l’avons éprouvé durant le début de la pandémie du Covid-19, on traque l’origine du mal, ses causes, avant d’en constater les dégâts. Dans cette histoire, on invoque le vent, les moustiques, les Italiens pour les Juifs et les Juifs pour les Italiens. Le racisme et la vindicte constituant des effets collatéraux. Notre héros sportif, Bucky, se veut exemplaire, rassure toutes les familles, avant de sombrer, à force d’enterrer des enfants, dans une angoisse existentielle et une culpabilité originelle. Si Dieu nous envoie ce microbe tueur, c’est que nous sommes coupables, car trop heureux. Ainsi agit l’antique Némésis, force divine qui force les héros à une leçon d’humilité : Bucky Cantor, admiré pour son magistral lancer de javelot, finira infirme et employé d’un bureau de poste. Entre temps, après avoir résisté stoïquement avant de quitter les enfants de Newark et son épidémie mortifère, il se retrouvera dans un paradis, un camp de vacances entouré des forêts de Pennsylvanie où sa jeune fiancée, Marcia, l’appelle amoureusement. On passe donc de l’atmosphère sombre des rues de Newark à la lumière d’Indian Hill, où des scouts aux rites indiens semblent baigner dans l’innocence des premiers hommes avec l’amnésie d’avoir massacré leurs ancêtres. 

Et Dieu dans tout ça ?

© Simon Gosselin

Entre les deux guerres, celle qui fait rage en Europe en provoquant la Shoah et la mort de millions de Juifs, et celle qui se livre face à une épidémie, où est donc Dieu? Et pourquoi Cantor, le jeune juif dont la mère est morte et le père envoyé en prison pour fraude, ne parvient-il pas à se débarrasser du poids du monde sur ses épaules, dont la pesanteur écrasante finit par l’anéantir ? Tiphaine Raffier nous conduit magnifiquement à fouiller toutes ces questions grâce à un éventail spectaculaire d’outils scéniques. La musique tout d’abord qui structure les tableaux par un subtil habillage sonore grâce aux musiciens en fond de scène, les lumières ensuite qui sculptent l’espace et structurent la temporalité d’une vie entière avec les images vidéos, et bien sûr les comédiens, dont certains chantent de manière remarquable, qui incarnent les nombreux personnages cette saga. Dans la deuxième partie, les enfants notamment, issus du Chœur d’enfants du conservatoire de Saint-Denis, associés aux comédiens chanteurs souvent très athlétiques, composent un véritable univers de joie et de tendresse que menace la fureur injuste du mal. La fin, avec Stuart Seide incarnant le héros âgé et le narrateur que l’on découvre enfin sous les traits de Arnold Meskinoff adulte, l’un des enfants du terrain de jeu touché par la polio, joué par Maxime Dambrin, se révèle d’une force et d’une émotion poignante. Car jaillissent côte à côte les parts d’ombre et de lumière, la face sombre et éclatante d’une Amérique contradictoire et multiple, égoïste et généreuse, qui s’arrange comme tout le monde avec son passé et ses dettes. Superbe.

Hélène Kuttner

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