Napoléon à Fontainebleau, l’histoire secrète d’un suicide raté
Alors que l’on célèbre le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, l’auteur et metteur en scène Philippe Bulinge est allé fouiller les archives secrètes de la vie du grand homme pour s’arrêter à un événement inconnu du grand public : sa tentative de suicide au Château de Fontainebleau, dans la nuit du 12 au 13 avril 1814. Trois comédiens épatants y fomentent une savoureuse tranche d’histoire, c’est captivant. Reprise en fanfare du spectacle à l’Archipel à Paris.
Un épisode véridique
Il y a dans la vie des plus grands hommes certains épisodes plus sombres de leur histoire, de ceux que l’on cache volontiers ou qui écorchent le faste des rois. A la fin du mois de mars 1814, l’armée française subit une série de revers, après la difficile campagne de France, et les Cosaques arrivent en vainqueurs sur le Champs-de-Mars devant les visages médusés des Parisiens. L’empereur Napoléon est déchu par le Sénat, manoeuvré par Talleyrand, et il ne lui reste plus qu’à se réfugier au Château de Fontainebleau avec les centaines d’hommes qui lui restent fidèles. On le presse d’abdiquer en faveur de son fils, le roi de Rome. C’est aussi le temps de la capitulation des troupes encore sur le champs de bataille, qui n’en peuvent plus. Acculé par le Tsar de Russie et ses propres maréchaux, Napoléon signe son premier acte d’abdication le 6 avril 1814 avec la garantie de conserver son titre d’empereur, de conserver une pension très confortable et la souveraineté sur l’Ile d’Elbe, prise à l’Italie.
Plongée dans l’intime d’un chef
Nous sommes donc dans la chambre de l’empereur déchu, à Fontainebleau, alors que ce dernier tente de mettre fin à ses jours au terme d’un immense désespoir. A ses côtés, le Général Caulaincourt et son médecin personnel, le Docteur Yvan, qui découvrent tous deux un homme souffrant, perclus de maux de ventre, évoquant, entre tressaillements et délires, hoquets et nausées, sa vie, ses exploits, les épisodes de l’empire, les trahisons vécues à travers une paranoïa croissante. En réalité, Napoléon vient d’avaler le poison que son médecin personnel lui avait fourni en cas de défaite, ce que ni Caulaincourt ni Yvan ne savent encore. Pour l’heure, sur son lit royal aux tentures de velours vert, bordé d’or, l’homme le plus célèbre d’Europe nous embarque, entre folie et discours rationnel, dans une véritable tranche d’histoire militaire et sociale, qui fera l’objet des mémoires qu’il écrira plus tard.
Trio d’acteurs épatants
Très historique, très documentée, la pièce de Philippe Bulinge s’amuse à rendre vivants ces personnages avec une verve et un dynamisme savoureux, tricotant avec ironie des dialogues piquants et terribles. Damien Gouy est un empereur débordant d’orgueil blessé, obsédé par son image, dialoguant sérieusement avec lui-même par un effet de miroir totalement schizophrénique mais touchant. Il est fiévreux et lucide à la fois, souffrant à la manière des stoïques romains, ne regrettant rien, se prenant pour Dieu en personne. Au contraire, droit comme un “I” et corseté dans son uniforme amidonné, Loïc Risser-Caulaincourt le veille avec la distance des militaires qui ne se départissent jamais du respect qu’ils doivent à leurs supérieurs, mais qui n’en pensent pas moins. Vincent Arnaud, le Docteur Yvan, oppose à ces deux monstres, l’un bouillant, l’autre glacé, son effroi de scientifique totalement dépassé par la situation. Fébrile et effaré, c’est lui qui va sauver finalement son patient par un subterfuge avéré. Un texte puissant, bien écrit, incarné par un beau trio d’acteurs qui nous révèlent, derrière le faste, la face cachée d’un mythe.
Hélène Kuttner
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