Molière a écrit Monsieur de Pourceaugnac. Cette huitième comédie fut créée en octobre 1669 au Château de Chambord. Les parties musicales étaient alors composées et données en intermèdes par Jean-Baptiste Lully faisant de l’œuvre un ballet. En 2016, le Théâtre de l’Éventail (11 années d’existence) a souhaité explorer la tradition de la comédie-ballet, en reprenant à Chambord même un burlesque Monsieur de Pourceaugnac. Pour cette création, le Théâtre de l’Éventail s’est associé à l’Ensemble de musique baroque La Rêveuse. Adieu, les intermèdes !
L’histoire
A Paris, Éraste et Julie sont épris l’un de l’autre. Or, le père de Julie, Oronte, a décidé de la marier à Monsieur de Pourceaugnac, un avocat de Limoges. Il ne le connaît pas, il a simplement entendu dire qu’il était plus fortuné qu’Éraste l’amoureux de sa fille. Sbrigani, un fourbe napolitain, et Nérine, une intrigante au service de Julie, conçoivent toute une série de stratagèmes pour chasser le fâcheux Pourceaugnac de Paris et permettre à Éraste d’épouser Julie. Le séjour de l’avocat limousin dans la capitale se révèlera cauchemardesque pour lui, et jubilatoire pour le spectateur.
Discrimination contre les Provinciaux
On imagine sans effort combien le Roi et sa Cour pouvaient à l’époque se tordre de rire. Tous les ingrédients sont réunis dans un texte très enlevé pour que précieux et précieuses qui se moquent de ce genre de petite noblesse se foutent de la poire des provinciaux. Alors, pour sûr, ça fonctionne encore aujourd’hui.
Il faut se souvenir qu’encore au 20° siècle, il était très mal vu de parler avec un accent, ça tranchait trop avec le Parisien sans-accent et sans saveur. Mieux, fin 19°, les étudiants parisiens en médecine organisèrent un monôme pour marquer leur hostilité à la nomination d’un éminent professeur au prétexte …qu’il avait l’accent du midi d’où il arrivait.
Dans le texte de Molière, rien ne leur est épargné à ces provinciaux comme Pourceaugnac auquel on recommande de …parler français, c’est à dire de s’exprimer avec l’accent parigot ? Que le nom du bonhomme contienne le mot pourceau en dit long sur la discrimination de ces temps et que dire du suffixe –gnac qui situait notre Limousin comme sorti du centre profond de la France.
Je m’en étais inquiété auprès de Philippe Adrien qui avait présenté son Monsieur de Pourceaugnac en1984 au Théâtre de La Criée. Je lui fis part de la perplexité dans laquelle me plongeait le texte de Molière. D’autant que le metteur en scène n’avait point voulu gommer les aspects excessifs de cette dramaturgie anti-province en affublant son héros d’un accent du fin fond des Corbières à couper au couteau, déclenchant selon toute attente un tonnerre de rires gras. Il semble que je n’avais pas saisi la finesse de ce texte de Molière.
Plus tard des humoristes jouant sur le même ressort obtiendront du succès en imitant un Africain avec un accent caricaturé en l’affublant d’une gestuelle simiesque. Affligeant ! Heureusement, ce spectacle à l’Epée de Bois va totalement à l’encontre de la caricature. Ici n’existe plus l’accent fleurant bon l’Occitanie, Raphaël de Angelis a préféré exprimer la différence, et, nous offrir du bon théâtre authentique truffé de gags très visuels à l’aide des mécanismes puisés à la Comedia dell Arte et au Théâtre Nô et Kyôgen! Musique en sus !
De la grandeur dans l’univers rétréci des petites hypocrisies !
Il y a beaucoup de créativité dans cet heureux Théâtre de l’Éventail. Des situations extraordinaires émaillent le texte. Cela va dans tous les sens, dans le bon sens, plaisir des yeux, bonheur musical, émerveillements en tous genres à en juger par les réactions enthousiastes de tous et des jeunes publics. (Il me revient les réactions de collégiens du 77 le soir de Première). L’Eventail pousse le trait jusqu’au gigantisme faisant de notre Monsieur de Pourceaugnac un bien sympathique bonhomme pas si bête qu’il en a l’air. Il y a de la grandeur dans l’univers rétréci des petites hypocrisies On rit beaucoup de ces coups montés contre le pauvre Pourceaugnac mais on ne le blâme pas car ce pauvre bougre naïf et niais ne comprend pas ce qui lui arrive. On est touché par sa crédulité.
Musique et action
Jusqu’ici, Molière avait inséré la musique dans ses pièces sous forme d’intermèdes cloisonnés venant ponctuer l’histoire. Or, dans Monsieur de Pourceaugnac, Raphaël de Angelis, metteur en scène comme Benjamin Perrot et Florence Bolton (La Rêveuse, direction musicale) opèrent une véritable fusion des genres entre musique et action : « On passe très naturellement dans certaines scènes du texte à la musique et de la musique au texte, du langage parlé au chant, explique Raphaël de Angelis.
Molière et Lully parvenaient à tirer des effets comiques en utilisant notamment la musique dans les scènes burlesques et on atteint, dans cette pièce, un niveau exceptionnel de comique musical. »
Farces et mascarades comme au bon temps du théâtre de tréteaux !
Dans cette mise en scène, l’ensemble La Rêveuse reconstitue une petite forme «de voyage», de la même manière que le Roi, en déplacement, emmenait avec lui une troupe réduite de musiciens qui jouait des pièces de circonstances arrangées pour être exécutées par un effectif plus modeste. Cette formation réduite n’est pas non plus sans évoquer le théâtre de tréteaux qui se jouait dans les foires et aux grands carrefours de la ville de Paris avec ses farces et ses mascarades.
Ce petit orchestre est composé de trois chanteurs, deux violons, une viole de gambe, un théorbe et un clavecin, effectif mentionné par le Maître de Musique de Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme.
Fondé par le luthiste Benjamin Perrot et la gambiste Florence Bolton, La Rêveuse est un ensemble composé de musiciens et chanteurs solistes, qui s’attache à redonner vie à la musique instrumentale des XVIIe et XVIIIe siècles.
Les musiciens ne resteront pas, selon une pratique plus moderne, cantonnés dans la fosse mais viendront parfois sur scène se mêler à l’action, comme pourtant on le faisait fréquemment à l’époque.
Propos recueillis par Patrick DuCome
Le Théâtre de l’Éventail est une compagnie de théâtre basée à Orléans qui travaille sur les traditions théâtrales et leurs rapports à la modernité. Avec plus de 500 représentations depuis la création de la compagnie, les spectacles du Théâtre de l’Éventail touchent un public très large principalement familial, ainsi que les personnes qui ne vont pas régulièrement au théâtre.
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[Crédits Photo 1 : ©Ludovic-Letot / Photo 2 : © Josephine Lointaine
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