Mon amour – Théâtre de la Cité Internationale
Molière version 2013, c’est peu de le dire. Pour le metteur en scène Thomas Ferrand, il s’agit de proposer un poème scénique qui réinvente un alliage de temps, d’espace et de rythme, compressant tous les ingrédients classiques pour que la sève des sensations jaillisse sur le public. Deux comédiens, Laurent Fratalle et tantôt Virginie Vaillant tantôt Sandra Devaux selon les dates de représentations, sont les instruments de cette projection protéiforme. En pas même une heure, ils tendent, compressent, évident et émincent les propos de Don Juan jusqu’au vertige.
Thomas Ferrand manie le théâtre et les arts visuels. Ce que l’on croit connaître du théâtre classique explose dans un nouvel éclairage, où la mise à nu textuelle s’harmonise avec l’ajout chorégraphique et musical. La scène, sol plastifié avec motifs de petites fleurs, est comme ramassée sous un plafond strié qui descend bas et en rondeur. Le seul accessoire est une haute gerbes de fleurs qui sera massacrée et régulièrement jetée à la figure des protagonistes.
Elvire, Charlotte, Don Juan, Monsieur Dimanche, sont évoqués sans aucune linéarité en rapport avec la pièce. Les bribes de textes sont répétées dans une cadence folle, martelées jusqu’à être réduites à leur quintessence et projetées selon un tempo si envoûtant, que le sens en devient clair et lumineux, laissant le spectateur déboussolé et subjugué. Don Juan qui conte fleurettes aux jeunes innocentes du monde paysan, n’est plus le séducteur habituel, mais un ravageur habile dont les phrases dites en boucle révèlent la machine désespérante du désir qui s’abat en brillantes rafales sur une proie crédule. Les considérations de Molière sur l’hypocrisie ont rarement été ainsi désossées.
Des vers cent fois entendus prennent une résonnance nouvelle, l’évidence de situations devient tragiquement crue, la duplicité de Don Juan se transforme en une tronçonneuse sensuelle et les appâts de la chair soumis à l’extrême vitesse verbale de Don Juan s’érigent cruellement en emblèmes de la perpétuelle vanité humaine. Toute la puissance de ce spectacle tient en sa capacité à montrer le sens des situations, non pas en prenant le temps de dire les mots, mais au contraire par une accélération folle du débit tandis que le corps danse littéralement le sous-bassement du verbe, et c’est bien par l’émotion et la tournoiement sensoriel que le spectateur saisit en sa totalité le tréfonds du discours.
C’est la question du désir et de la tentative de l’amour qui s’imbriquent visuellement. Le chevauchement de voix et de mouvements inonde en effet implacablement le public et la quête de l’impossible fusion place chacun sous un faisceau de sensations irradiantes. Un leitmotiv aux timbres cuivrées de la trompette se mêle au jeu enivrant, au point que l’évidence de la superbe cruauté du désir devient non pas intelligible au sens rationnel, mais comme un éclair de la conscience perceptive. Quand, brièvement, le comédien ouvre la scène latéralement sur le balcon baigné de lumière crépusculaire, le spectateur est emporté en un flash presque irréel dans une vague absolue de volupté ; puis, mangeant une orange, le même comédien ajoute au flot de sons et d’images un parfum qui prend, du fait de la densité générale, une force en totale correspondance avec la volonté du metteur en scène. Car en effet, tout va à deux cents à l’heure, la diction, l’aperçu du ciel, l’arôme de l’orange. Et pourtant, tout est reçu en pleine figure, en pleine chair.
Une partition sans pause
Il faut dire que les deux comédiens font débouler sur le plateau une sensualité pure, sortie des corps aussi naturellement qu’Aphrodite de l’eau, sans artifices, sans recours aux clichés sur la plastique corporelle. Une fois, deux fois, trois fois et plus, ils répètent jusqu’à l’étourdissement des enchainements gestuels, et là aussi, la précipitation provoque un saisissement. Qu’en est-il de la vérité d’une parole ou d’un geste, quand ils sont multipliés et distribués dans la mécanique d’une photocopieuse ? Le plafond découpé en lamelles pose parfois sur les visages et les corps des comédiens d’étroites et nombreuses raies d’ombre et de lumière : image simple et au sommet d’une sensualité bouleversante parmi tant d’autres. Thomas Ferrrand résume : « Nous respirons et mourons seuls en dépit de toutes nos déclarations d’amour ». Rappelons que ce metteur en scène hors nomes a fondé la Compagnie Projet Libéral en 2003. Depuis il a réalisé de nombreux spectacles réunissant danse et musique, parmi lesquels Zarathoustralala, Idiot cherche Village, Extase de Sainte Machine… Avec Mon amour, il crée et réussit un poème scénique qui se déroule avec la puissance d’une ode chorégraphique de haute intensité. Il y a là quelque chose d’une révolution au sens astronomique. On fait le tour de la planète Amour en un inoubliable tournis de 55 minutes.
Isabelle Bournat
Mon amour
Sur Don Juan de Molière
Mise en scène de Thomas Ferrand
Avec : en alternance Sandra Devaux jusqu’au 21 mai et Virginie Vaillant du 23 mai au 1er juin, et Laurent Frattale
Du 13 mai au 1er juin 2013
Tous les jours à 21h
Le jeudi à 19 h30
Relâche mercredi et dimanche – pas de représentations les 20 et 25 mai
Tarifs : 16 à 22 euros
Réservations par tél : 01.43.13.50.50
Durée : 55 min.
Théâtre de la Cité Internationale
17, boulevard Jourdan
75014 Paris
RER ou T3a Cité Universitaire
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