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Michel Boujenah : “Le théâtre est une maladie”

Hélène Kuttner 17 janvier 2022
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© Renaud Corlouer

Dans “L’Avare” de Molière mise en scène de Daniel Benoin au Théâtre des Variétés, le comédien se métamorphose en Harpagon et plonge dans le rôle comme en apnée dans la profondeur d’un monstre qu’il veut approcher pour mieux l’aimer. Entretien lors de la création du spectacle à l’Anthéa d’Antibes avec un comédien humaniste qui ne vit que par le théâtre.

C’est d’abord le metteur en scène, Daniel Benoin, qui est venu me chercher. Mon manque de confiance naturelle m’empêche de me lancer dans de tels projets sans que l’on me le propose. Ensuite, je suis pris dans mes aventures personnelles, les spectacles, les films, l’écriture de projets qui me prennent énormément de temps. En principe je dis toujours non, je refuse beaucoup de films au cinéma. Enfin, c’est vrai que Molière est un maître absolu du théâtre, et qu’on ne peut l’approcher qu’en interprétant soi-même ces personnages. Il faut des années de pratique. Michel Bouquet disait “Cela fait 15 ans que je travaille sur L’Avare et je crois commencer à comprendre la pièce.” En ce qui me concerne, c’est bien tombé, et c’est une chance.

Pourquoi ? Vous ne vous sentiez pas à la hauteur du rôle ?

Je n’étais sûr de rien. Quand Daniel Benoin est venu me chercher, je lui ai dit “D’accord, mais on s’arrête aux représentations d’Antibes”. Aujourd’hui, j’ai envie de le jouer 100 fois. Par expérience, plus on joue un rôle, plus on découvre de choses et mieux on l’interprète. C’est un personnage complexe, ambivalent, monstrueux, qui me bouleverse. 

Pourquoi ?

Je suis plutôt quelqu’un de bienveillant. On me l’a suffisamment reproché dans mes spectacles. Harpagon me fascine car il est à l’opposé de moi, tout en étant humain. Plus je le joue, et plus je le comprends. Il ne s’agit pas de l’excuser, mais de s’approcher de lui. Quand Harpagon dit à sa fille “Il aurait mieux valu que tu meures !”, c’est d’une violence extrême. Comment sortir indemne de ce genre de propos ? Harpagon est un personnage qui est devenu un monstre. À la fin du spectacle, il ne se révolte même plus : il est battu, désincarné, il a tout perdu. Il ne lui reste que son argent. Dans un monde où l’argent a pris une telle place, beaucoup de gens ne se rendent pas compte qu’ils sont devenus des Harpagon. On peut avoir 8 maisons, 10 bateaux, et après ? Qu’est-ce qu’on a de plus ? Jusqu’on veut-on aller dans le profit personnel ? Je ne suis pas d’accord pour priver tous les riches de leur fortune. Je leur laisse leurs maisons, leurs bateaux et leurs avions, et tout ce qui n’est pas nécessaire à l’entretien de cette usine à gaz, je le prends ! Je le redistribue, je m’en sers pour soigner la planète, pour faire grandir le monde. Qu’est-ce qu’on fait avec tout cet argent ?

Etes-vous un acteur facile à diriger ?

Oui, mais quand je ne comprends pas, je ne peux pas jouer. Je ne cesse de poser des questions. Je ne suis pas là pour jouer, je suis là pour raconter. La première question que je poserai à un jeune acteur, c’est “Pourquoi es-tu là ? Pourquoi as tu envie de jouer ? Pourquoi des gens se déplaceraient pour te voir sur scène ?” Le simple plaisir n’est pas une raison suffisante. 

Et vous, qu’est-ce qui à 20 ans vous a poussé sur la scène ?

Parce qu’à 14-15 ans, je me suis aperçu que j’existais dès que je racontais des histoires. J’existais dans le regard des autres, il y avait un vrai partage. J’aime et je sais raconter des histoires. Je ne sais rien faire d’autre. Vous m’avez fabriqué pour cela ! Vous savez, chaque communauté humaine fabrique ses artistes. Au début, quand j’ai commencé, il n’y avait pratiquement pas de Nord-Africains. Aujourd’hui, il y a des artistes de toutes les cultures partout ! Il y a même un Boudjenah à la Comédie-Française. Si j’ai choisi ce métier, c’est que ce métier m’a choisi aussi.

Si vous n’aviez pas été comédien, qu’auriez-vous fait ?

J’aurais été médecin. J’avais la passion de soigner, d’être utile. Mais cela ne suffisait pas. Le théâtre ne peut pas être qu’une passion, c’est une maladie. Si vous ne jouez pas, vous mourez. C’est une nécessité, pas un second choix. 

Propos recueillis par Hélène Kuttner

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