Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… – Théâtre de la Bastille
Pierre Molinier était peintre, photographe, poète, un homme à l’érotisme fin, ludique, sulfureux et amoureux, qui fut un temps proche des surréalistes, toujours grand dérangeur et provocateur dans un naturel sincère et jamais forcé. C’est tout le charme irrésistible et la profondeur déroutante de cet artiste. Il ne cherche pas à choquer ni à perturber, il est simplement incapable de céder, tricher, composer ou forcer. Pierre Molinier a aimé en fétichiste impénitent les jambes des femmes et des hommes, qu’il a gainées et voilées, admirées et dessinées durant toute sa vie.
A travers cette joyeuse obsession qu’il a pour les jambes perchées sur des talons aiguilles, l’artiste s’adonne à un érotisme qu’il assume en absolue liberté et sans aucune recherche de caution intellectuelle ni pose idéologique. Libertaire et libertin, anarchiste, il est profondément indépendant, vivant jour après jour ses désirs, ses fantasmes et son approche de la vie à travers le mystère de la chair concentrée essentiellement dans les jambes. Son insistance à observer, recomposer et photographier les corps et les jambes ressemble à une volonté fixe de partir en quête de ce qui le fascine, à savoir la différenciation physique surgie d’une androgynie première.
Né en 1900, il a vécu à Bordeaux dont il fut le trublion mal compris et il a longtemps été peintre en bâtiment avant de se consacrer pleinement à son œuvre où les photomontages occupent une grande place. Conformément à ses avertissements et à sa détestation de la dérive physique, il s’est suicidé en 1976 en se tirant une balle de révolver après avoir écrit dans ses carnets : « Je me donne la mort et ça me fait bien rigoler. »
Chaque matin, réinventer sa vie
Le metteur en scène Bruno Geslin a travaillé au coude-à-coude avec le comédien Pierre Maillet pour écrire le spectacle à partir des entretiens de l’artiste avec Pierre Chaveau. Ils l’avaient créé très exactement en 2004 et le reprennent maintenant en annoncent déjà qu’ils le reprendront jusqu’à ce que Pierre Maillet ait atteint lui aussi 76 ans. C’est que leur rencontre avec ce créateur insoumis trouve en eux des prolongements dans leurs vies et leurs propres réflexions artistiques. Ce réel bouleversement qu’a été la découverte de l’œuvre et de la vie de Molinier les a imprégnés au point de poursuivre ce spectacle comme un déroulement de leur intime cheminement. La jonction est pour le public un cadeau.
L’hommage à Molinier est beau et émouvant et le sillon subversif vous traverse comme une gourmandise régénérante. Avec drôlerie et irrévérence ainsi qu’une proximité fervente avec celui qui les inspire, le metteur en scène invite à un spectacle exaltant, déstabilisant et ludique tout en entraînant avec bonheur dans une zone à la fois trouble et lumineuse. Les moments chorégraphiques où excellent les interprètes ainsi que les assemblages de dessins, les musiques et l’admirable chanson d’Ingrid Caven se réunissent magnifiquement dans cet univers. Le jeu de Pierre Maillet qui interprète Pierre Molinier est d’une exquise sincérité, qui nous entraîne dans un monde sulfureux avec une modestie et une bonhomie déconcertante et joyeuse. L’affranchissement des conventions, de la morale et des interdits devient un bijou de chair qui scintille dans une atmosphère de rire où l’esprit s’allège voluptueusement.
Isabelle Bournat
Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée…
Inspiré de l’œuvre photographique et de la vie de Pierre Molinier
Adaptation théâtrale : Bruno Geslin et Pierre Maillet
Mise en scène de Bruno Geslin
Avec Pierre Maillet, Elise Vigier et Nicolas Fayol
Jusqu’au 30 juin à 21h
Le dimanche à 15h
Relache le lundi
Tarifs : de 14 à 24 euros
Réservations par tél : 01.43.57.42.14
Durée : 1h10
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
M° Bastille
[Visuel : © Huma Rosentalski]
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