« Mémoires d’un tricheur », doux souvenir
Tirée du roman de Sacha Guitry, la pièce Mémoires d’un tricheur est une adaptation d’Eric-Emmanuel Schmitt. La proximité est là et une réelle admiration est palpable dans une version qui tend au final à édulcorer l’ensemble et se teinte de nostalgie.
Sacha Guitry a écrit le roman en 1935 et il en a lui-même tiré un film qu’il titra non sans paradoxe « Roman d’un tricheur ». Ayant déjà séduit plusieurs comédiens, le texte est cette fois non seulement adapté mais aussi mis en scène par Eric-Emmanuel Schmitt et c’est Olivier Lejeune qui s’empare du rôle central. Ni l’un ni l’autre n’ont voulu imiter le maître et c’est donc sur un ton volontairement badin et souple qu’ils présentent cette histoire rocambolesque. Le menteur en question commence son épopée par une anecdote délicieusement macabre : les onze membres de sa famille sont morts d’un empoisonnement aux champignons alors que ce jour-là justement, enfant de six ans, il était puni et privé de repas. Après ce coup du sort, le petit héros décide de s’amuser de tout en usant au maximum de l’art de la tricherie. Il monte à Paris, se fait engager dans les hôtels puis dépense ce qu’il gagne aux casinos de Deauville ou Monaco, gravissant les échelons de la fortune, multipliant les aventures et les maîtresses, s’accoquinant avec une rombière et finalement, de mensonge en roublardise, c’est sa vie autant que l’argent qu’il joue chaque jour.
La trame de base est respectée, le parfum d’époque se répand en une cadence régulière. Aux côtés du menteur désinvolte à souhait, les nombreux personnages sont interprétés par Sylvain Katan qui jongle habilement de l’un à l’autre, passant des culottes courtes au vieux fichu sur la tête avec drôlerie. Les deux comédiens se fondent avec fluidité dans un décor léger où de simples parois en formes de cartes à jouer géantes coulissent au fil des scènes. Cependant, le comédien en chemise blanche et bretelles adopte un charme qui prive le public de la frivolité saignante de Guitry. Le choix d’écarter le mordant initial diffuse au final une nostalgie au pastel. D’entrée de jeu, la couleur est indiquée. Avant même le début de la pièce elle-même, c’est en effet un film en noir et blanc, style années 30 avec les rayures de pellicule, qui est projeté sur fond de scène. Hommage rendu à Guitry, cette séquence filmée glisse fort joliment mais les adeptes de l’esprit cinglant devront accepter que le gentleman à la tricherie incisive devienne un menteur bon enfant.
Emilie Darlier-Bournat
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