Memento mori – Pascal Rambert – Théâtre de Gennevilliers
Dans cette pièce, qui ne fait aucun compromis et qui a été créée aux Hivernales 2013 d’Avignon, les cinq interprètes masculins évoluent dans une obscurité plutôt épaisse qui fait appel à l’ensemble des sens du spectateur. Cette pièce, il va la ressentir, sentir (au sens olfactif), imaginer, capter avec sa peau. Et la rétine? Certes, le Sfumato est ici poussé à l’extrême, jusqu’à la quasi-disparition de son objet. Mais il s’agit justement de reprendre conscience de l’acte de regarder. C’est en cela que la pièce est sensuelle.
L’observation devient ici un acte contemplation et donc une démarche active et poétique, sphérique et finalement politique. Plus que d’habitude, on quitte le quotidien, dans une rupture radicale. Habitués à recevoir en permanence des signaux visuels et acoustiques, nous devons d’abord appliquer vis-à-vis de nous-mêmes une certaine détermination, pour nous arracher à la jungle urbaine et sémiotique, pour suivre Rambert sur le chemin de l’épure: « Lécher. Lécher. Nettoyer. Nettoyer la vie. Nettoyer nos images. » S’extraire au flux tendu et dynamique des signes, ne plus être leur victime mais devenir l’acteur de son regard.
L’épure et la douceur qu’on reçoit sont une belle récompense de ce petit effort. La scène se présente telle une libation, où l’on se souvient du début et de la fin de la vie, alors que les sens sont stimulés par la nourriture et la boisson. Longtemps, la nudité des interprètes n’est qu’atmosphérique. Il s’agit plus de l’avant et de l’après et beaucoup de cette pièce a lieu dans l’imagination du spectateur. Dionysos est le grand invité, et tout annonce sa venue. Raisins et autres fruits avec leurs chairs et odeurs occupent le sol, comme pour recentrer nos désirs, également éperdus sous les assauts publicitaires. « Memento Mori n’a pas de sujet sinon le mouvement lui-même », dit Pascal Rambert. Mais la condition du mouvement s’appelle, la vie. Et qui dit « vie », dit: « désir ». Cette pièce est donc son propre sujet. Et Rambert de demander: « Est que ça danse les images sur les grottes? » Et de répondre: « Oui. Avec la lumière ça danse. »
Et voilà. Comme dans la peinture, en danse aussi, tout est affaire de lumières. Les artistes visuels sont en fait les scénographes les plus actuels et les plus avertis en matière de création chorégraphique. Sans eux, pas de spectacle. Scénographes et éclairagistes n’interviennent plus de façon complémentaire ou décalée dans le temps. Le processus de création est désormais une démarche collective, fraternelle, partagée. Créer des lumières devient un acte de plasticien. Aussi, la recherche d’Yves Godin (« nous fabriquons des visions plus que des images « ) incarne le paradoxe des recherches actuelles en scénographie, qui jouent avec l’effacement du visible, en réaction à la surexposition de l’œil aux stimuli visuels et sonores dans l’environnement urbain et médiatique. Et soudain, la boucle est bouclée, de la Renaissance aux toutes nouvelles tendances.
Thomas Hahn
Memento mori
Conception et réalisation : Pascal Rambert
Collaboration artistique, dispositif scénique et lumière : Yves Godin
Création musicale Alexandre Meyer
Avec Elmer Bäck, Rasmus Slatis, Anders Carlsson, Jakob Öhrman, Lorenzo De Angelis
Du 16 au 20 décembre 2013
Les 16, 18 et 20 décembre à 20h30
Les 17 et 19 décembre à 19h30
Tarifs : 9, 12, 15 et 24€
Théâtre de Gennevilliers
Centre Dramatique National de Création Contemporaine
41, avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
[Crédits photographiques : © Marc Domage]
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