Même pas mort : “Le Presbytère…” de Béjart en tout éclat
Le Presbytère… De Maurice Béjart Avec le Béjart Ballet Lausanne (37 danseurs) Du 4 au 6 avril 2015 Durée : 1h45 Palais des Congrès M° Porte Maillot |
Du 4 au 6 avril 2015
Un titre, fait pour arrêter le temps : “Le Presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat…” Et on voudrait poursuivre : ni la fresque de Béjart de sa puissance… 37 danseurs ! En 1997, avec Elton John et le groupe Queen sur scène, beaucoup furent touchés aux larmes, face à cet hommage simultané à Freddy Mercury et à Jorge Donn, danseur emblématique de la compagnie de Béjart. L’escale parisienne de cette superproduction sera de courte durée, comme la tournée dans son ensemble. Cinq représentations sur trois jours seulement, au Palais des Congrès. L’occasion est donc unique de découvrir cette œuvre clé de Maurice Jean Berger, devenu Maurice Béjart en hommage à Armande Béjart, épouse de Molière, à moins de se rattraper courant avril à Dijon, Lyon, Nantes, Rouen ou Roubaix, la tournée française du spectacle ayant commencé à Marseille. Chansons, costumes et chair Presque vingt ans après la création, les chansons de Queen et les airs de Mozart sont toujours aussi envolés et les costumes de Gianni Versace n’ont rien perdu de leur brillance. Les tableaux d’ensemble surprennent autant qu’à la création, sinon plus, puisque devenus plus rares encore qu’à l’époque où, déjà, Béjart se démarquait par ce goût de l’opulence. Son théâtre d’images présente la chair comme vecteur de l’âme, mêlant la sensualité de Michel-Ange au sentiment tragique du Caravage, le tout revu à travers la culture pop des 70’s, bien entendu. L’histoire de la pièce et de son titre n’en dit pas moins. Si l’anecdote n’est pas un passage obligé, l’histoire est bien trop belle pour s’en priver. Il était une fois un chorégraphe marseillais qui avait fondé des écoles de danse et des compagnies à Bruxelles, à Dakar et à Lausanne. Un jour, il visita un chalet au-dessus de Montreux, jouissant d’une vue céleste sur le lac Léman. Il en fut émerveillé. Et juste après, il trouva le 33 tours de Queen, Made in heaven, où Freddy Mercury lève le bras devant le même paysage, comme s’il se trouvait juste là, devant Béjart assis sur son presbytère. Mercury, Donn, Versace… et Mozart L’idée de créer un ballet germe plus tard, face à cette autre coïncidence, tragique cette fois, qui veut que le danseur fétiche du Ballet du XXe siècle et le chanteur de Queen, icône d’une génération, sont morts de la même maladie, au même âge : 45 ans. Et Béjart ajoute Mozart, mort à 35 ans. Et puis, Versace… Abattu par un tueur en série, six mois après la création du Presbytère ! Ses costumes sont un spectacle en soi, dans leur exubérance et leur légèreté, incarnant cette insolence, cet amour du corps et de la vie. Si ici les musiciens ne sont pas en scène, on entend la voix du vrai Mercury, enregistrée en live. Et si Béjart en a décidé ainsi, c’est que le contact avec le public exalte l’énergie vitale qui porte le spectacle. Bien peu de grands chorégraphes contemporains ont construit leur œuvre à partir de la véracité de l’émotion : Pina Bausch, Dominique Bagouet, Bouvier/Obadia, Carolyn Carlson. Béjart. Mais Bagouet a été fauché par le sida, comme Noureev, comme tant de danseurs. Dans Le Presbytère…, le sida est bien présent, les lits d’hôpital, le désespoir, le regret pour tous ceux qui sont morts dans la fleur de l’âge, la fleur au fusil. Mais ce ballet béjartien fait avant tout rayonner leur envie de vivre, de s’amuser, de s’éclater – comme dans le titre… Impossible de ne pas se laisser emporter par de telles vagues. On va au Presbytère comme on irait à un concert de Queen. Il n’est pas interdit de sortir les briquets… Thomas Hahn |
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