“Max” et “Harvey” au Théâtre du Rond-Point : duo de rêveurs pour un rêve sans retour
Deux spectacles, deux créations se jouent en ce moment au Théâtre du Rond-Point, pour le plus grand bonheur des amoureux du jeu théâtral, de la fantaisie et du rêve. En haut, dans la petite salle Topor, le sociétaire de la Comédie Française, Jérémy Lopez, est Max Linder, star du cinéma muet trop vite oublié, quand dans la salle Renaud-Barraud Jacques Gamblin est Harvey, doux-dingue d’une pièce à succès américaine et à laquelle Laurent Pelly redonne un bel éclat. Des histoires de rêves portés par deux grands comédiens.
Max : Jérémy Lopez réincarné en Max Linder
De ce roi du cinéma muet du début du XXe siècle, on ne connaît pratiquement que le nom qui s’affiche sur un cinéma des Grands Boulevards de Paris. Max Linder, né Gabriel-Maximilien Leuvielle en 1883 dans le Bordelais, devient très vite une vedette de cinéma après des débuts timides au Conservatoire de Bordeaux. C’est Charles Pathé, l’homme qui inventa le modèle industriel du cinéma, imité ensuite par Hollywood, qui le remarque et le fait travailler très jeune dans ses studios de Vincennes. Max Linder est lancé, il a une énergie et une ambition dévorantes, adopte la tenue élégante du chapeau, de la canne et du gilet du gentleman, silhouette que Charlie Chaplin adoptera de manière burlesque, très inspiré par la star française qui réalise maintenant ses courts métrages distribués et produits par Pathé. Mais la Grande Guerre de 1914-18 coupera les ailes de Max Linder qui, blessé et malgré une virée à Hollywood, sombre dans la dépression. Fou amoureux d’une mineure de 17 ans, Ninette, qui accouchera d’une petite fille, il finira par séquestrer sa jeune épouse et l’on retrouvera les corps des deux époux avec les veines tailladées à l’Hotel Baltimore.
Stéphane Olivié Bisson s’est plongé dans cette vie formidable et dramatique, grâce aux livres et aux documentaires réalisés par la fille de Linder, Maud, dont la famille s’est déchirée pour enfouir ses traces cinématographiques. Jérémy Lopez, dans la pénombre d’une chambre à peine éclairée, nu comme un vers, parle à sa fille. Le film en noir et blanc qu’il déroule sous nos yeux en racontant sa vie est troué de scories, de cauchemars et de rêves réalisés ou avortés, en raison d’un manque d’amour, d’une soif d’exister et de briller peu communes. Puis l’acteur se pare de ses éclatants vêtements de scène, l’oeil noir et vif comme l’éclair, le corps leste, d’une souplesse d’acrobate, pour nous raconter la folle trajectoire d’un petit homme à moustache en en frac qui traverse l’écran pour ravir les yeux des spectateurs. Le texte suit cette biographie avec une grâce passionnée, mais aussi quelques longueurs hagiographiques. Dans une scénographie d’une sobriété radicale, le comédien, mis en scène par l’auteur, est un feu follet, un cygne noir qui joue sa vie à chaque seconde, funambule sur la corde de ses désirs, en équilibre fragile entre angoisses et cauchemars. Il est formidable, et on sort du spectacle sonné, avec l’envie d’en connaître davantage.
Harvey : à la recherche d’un lapin géant
Entre Lewis Caroll et la société américaine des années 1940, il y a un personnage qui a défrayé la chronique des spectateurs à Broadway : Harvey, surgi de la plume de Mary Chase, écrivaine talentueuse, et dont l’histoire s’est jouée à guichets fermés de 1944 à 1949, remporta le Prix Pulitzer et fut tournée au cinéma avec James Stewart dans le rôle d’Elwood. La pièce, inconnue en France, a séduit le metteur en scène Laurent Pelly et son adaptatrice Agathe Mélinand. Restait à trouver le bon acteur pour le rôle d’Elwood, inconsolable et fantaisiste héros épris de son ami Harvey, un lapin d’1m90, qui hélas reste invisible aux yeux du reste de la société. Jacques Gamblin, silhouette longiligne et démarche aérienne, transfigure le personnage en en faisant un être délicieux, affable, délicieusement allumé.
Comme toujours chez Laurent Pelly, le décor, les costumes, l’attention au son et à la lumière est capitale, et la boite à jouer, que constituent les praticables mobiles de cette maison bourgeoise, est d’une simplicité aussi efficace que pittoresque. Comédie aux portes qui claquent, conte fantastique, l’histoire charrie aussi son lot de malheurs et on aura tôt fait de vouloir enfermer Elwood, qui voit Harvey partout, dans un hôpital psychiatrique. Mais les fous ne sont pas ceux que l’on croit. Pierre Aussedat campe un psychiatre plus agité qu’une cocotte minute, Katell Jan une infirmière dévergondée, Christine Brücher une soeur tremblante d’effroi et avide de surprises avec sa fille, Agathe L’Huillier, qui n’en perd pas une pour faire partie du spectacle. De la société bourgeoise à l’hôpital psychiatrique, il n’y a qu’un pas qu’Elwood et son lapin Harvey, que l’on ne verra qu’en peinture, franchiront allègrement non sans une certaine mélancolie, celle qui saisit les êtres les plus libres quand on veut les enfermer avec des cadenas normatifs. Un comédie allègrement déjantée, douce et légère comme une coupe de champagne, un peu amère comme un lendemain de fête et fort bien menée !
Hélène Kuttner
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