“Mauvaises filles” : ode aux jeunes exclues de la société
Trois jeunes filles sont sur scène, mais des centaines d’autres errent tels des fantômes dans le temps et l’espace que les trois comédiennes représentent. Elles sont enfermées, exclues, prisonnières ou punies, dans un camp, une prison ou un lieu clos tenu par des religieuses. Sonia Chiambretto leur a dédié un très beau texte, poétique et puissant, que Sandrine Lanno met en scène au Théâtre du Rond-Point.
Au bord de la vie
Salomé, Annette, Awa, Billie, Gisèle, Sakina, autant d’adolescentes, de jeunes femmes que Sandrine Lanno, metteur en scène et conceptrice du spectacle, souhaitait évoquer. Des filles jeunes ou plus âgées en proie à la maltraitance, à la violence, à la pauvreté, au viol, qui ont été dans les années 50 ou 60 rejetées à la marge de la vie, reléguées malgré elles par leurs parents, leurs tuteurs, les policiers selon une loi datant de 1850. Les jeunes filles délinquantes devaient être « élevées en commun, sous une discipline sévère et appliquée aux travaux qui conviennent à leur sexe. » A l’époque, les institutions religieuses comme les Bons Pasteurs ou les écoles laïques de « préservation pour les jeunes filles mineures » se chargeaient de les remettre sur le droit chemin. Ces délinquantes d’hier, que l’historienne Véronique Blanchard, auteur de Vagabondes, voleuses, vicieuses évoque elle aussi, se fondent avec celles d’aujourd’hui, rencontrées par Sandrine Lanno à travers sa pratique artistique en milieu pénitentiaire.
Mais avec la rage de vivre
Evelyne Didi, Lola Blanchard et Paola Valentin sont ces femmes au bord du gouffre, enfermées derrière les barreaux d’une petite chambre à l’éclairage façonné par Dominique Bruguière. Le plateau est nu et noir, seule la lumière de la chambre projette ses ombres alentour. Mais les actrices donnent à leurs personnages de paumées, de révoltées, une rage existentielle formidable, faite de la sève de la vie, de l’énergie de survivre et de cracher au monde leur amour, en même temps que la haine de leur oppresseur. « Je fais la violence, je paye pour ma violence. Mais j’ai changé. Je dois sortir. On croirait qu’ils veulent me garder route la vie. J’ai 16 ans, j’assume mes torts. » Chacune des comédiennes, tour à tour endosse un personnage. Tantôt le monologue se fait chant, mélopée langoureuse ou cri du coeur, révolte sanguine acide comme des pleurs. Tantôt elles dialoguent entre elles, gamines vicieuses des dortoirs surveillés, battues par les religieuses, ou tout bonnement gamines d’aujourd’hui sans père et sans repère. Seul le violon de Bénédicte Villain crie ses dissonances.
Rebelles
Evelyne Didi, toujours magnifique avec sa chevelure de feu, est la plus âgée, mais partage une complicité, une simplicité et une tendresse complices avec Paola Valentin et Lola Blanchard. Elles font les 400 coups, la révolution des chambrées, le cul par dessus tête et des jurons à la volée. Elles sont vibrantes ces comédiennes qui font valser le beau texte de la poétesse Sonia Chiambretto, avec une douceur, une malice dénuées de toute dérive racoleuse ou vulgaire. Grâce au texte, grâce aux comédiennes inspirées et sobres, on s’identifie à ces héroïnes de l’impossible, assoiffées de liberté et de rébellion, mais dénuées des codes, sociaux ou juridiques. Elles sont belles, et viennent délicatement déranger notre confort de nantis avec ce spectacle en forme d’ode aux femmes, les grandes incomprises trop souvent tapies dans l’ombre.
Hélène Kuttner
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