Marry me in Bassiani : danse, techno et Géorgie
Marry me in Bassiani ! La MAC de Créteil présente, avec le Théâtre de la Ville, le spectacle le plus intrigant de la saison : on y fête un mariage et on danse comme des fous, jusqu’à ce que la tradition, le machisme et les politiques éclatent en morceaux. Une rencontre endiablée entre danses traditionnelles géorgiennes et musique techno.
(La) Horde, ce sont trois jeunes artistes qui ont le vent en poupe. Depuis la rentrée, ils dirigent le Ballet National de Marseille, autrement dit, le Centre Chorégraphique National de la Cité Phocéenne. S’ils ont été sélectionnés, contre plusieurs chorégraphes très chevronnés, pour lui donner une nouvelle identité, c’est justement grâce à une série de spectacles totalement insolites, dont ils ont le secret. Le dernier en date, créé juste avant leur prise de fonction à Marseille, est plus inattendu que jamais : Marry me in Bassiani.
Des artistes imprévisibles
Pour leurs projets précédents, Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel ont travaillé avec des personnes âgées, des jeunes danseurs de jumpstyle et autres citoyens ou danseurs qui n’ont pas l’habitude de la scène. Et à chaque fois, ils ont su étonner à la fois les interprètes et les spectateurs, avec des spectacles visuellement et formellement innovants et époustouflants. Avec Marry me in Bassiani, ils révèlent aujourd’hui un territoire et une culture peu connus, son histoire et ses conflits actuels. En attaquant les structures convenues géorgiennes, ils prennent d’assaut le paysage chorégraphique français !
Danses traditionnelles et club techno
Le point de départ et la démarche de Marry me in Bassiani ont secoué le monde de la danse. Forts de leur curiosité et de leur mobilité, les trois trentenaires, qui se définissent comme collectif, se sont rendus à Tbilisi, la capitale de la Géorgie, où ils ont rencontré l’ensemble Iveroni qui pratique les danses traditionnelles. Ils ont travaillé avec la troupe, en ont choisi quinze pour leur spectacle et auraient pu se contenter de les mettre en scène dans une approche chorégraphique inédite pour ces anciens interprètes du ballet national géorgien.
Mais comme ils viennent de l’extérieur, ils ne se préoccupent guère des barrières qui peuvent s’ériger à l’intérieur du pays. Aussi ont-ils exploré en même temps le Bassiani, un club techno qui jouit d’une réputation mondiale pour son ambiance et la qualité de ses DJ, résidents ou invités. Incongrue, cette idée ? Assurément ! Rien ne peut, a priori s’opposer plus fortement que ces deux univers que l’on devine prisés par deux générations opposées.
La liberté, plutôt que la tradition !
Et pourtant, quelque chose lie ici la culture traditionnelle et la techno. C’est la volonté d’exister. Tant que la Géorgie était une république soviétique, la danse folklorique affirmait l’identité culturelle et nationale, défiant l’hégémonie de Moscou. Aujourd’hui, le Bassiani joue un rôle comparable. Par ailleurs, le nom n’est en rien une référence géographique. Au départ, il désigne simplement un musicien bassiste. A l’arrivée, il incarne un idéal. Ce qui fait la force du Bassiani : pour les amateurs de techno, le club de Tbilisi est une référence mondiale, comme le célèbre Berghain de Berlin. Pour les Géorgiens, il s’agit en même temps d’un lieu où s’expriment l’opposition au gouvernement actuel et l’identité de la communauté LGBT, dans un pays où toute culture queer est sévèrement réprimée.
Cauchemar, choc et effondrement
Et puis, résurrection grâce à la musique et la danse : la remise en cause de la culture traditionnelle et religieuse dans Marry me in Bassiani, par la pièce autant que par son titre, émet un message fort. Mettre en scène un mariage est ici un acte artistique et politique à la fois, puisque la fête ne prend nullement le cours prévue, que la mariée n’a pas l’air de consentir au projet et que les invités finissent par s’attaquer aux symboles nationaux. La pièce est un manifeste pour un monde nouveau et ouvert, où toutes les personnes et toutes les danses s’expriment et se rencontrent librement. Et les danseurs tournent, sur des beats techno de plus en plus soutenus. Les femmes s’emparent de la danse traditionnelle des hommes, devant la façade d’une cathédrale.
Rafle, manif et victoire
Dans la vraie vie à Tbilisi, le Bassiani a fait l’objet de descentes policières et est étroitement surveillé par les autorités. Comme culture techno et opposition politique s’y confondent, personne n’y est autorisé à photographier ou filmer, pour ne pas livrer au gouvernement une possibilité d’identifier des activistes politiques. En 2018, la police prit le club d’assaut pour conduire une rafle. Peu après, une manifestation revendicatrice avec musique techno a envahi la place devant l’hôtel de ville. Et le désir de liberté remporta la partie. Le Bassiani, qui se trouve dans les catacombes du stade du jadis célèbre club Dynamo, persiste. La jeunesse a montré sa force, et le spectacle de (La) Horde porte son message
Thomas Hahn
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