Marianne James est Miss Carpenter – Théâtre Rive Gauche
MdB : Parlons de ta formation musicale auprès de Tony Petrucciani, le père de Michel Petrucciani. As-tu vu le film éponyme sorti en 2011 et consacré à cet artiste génial ?
MJ : Oui je l’ai vu ! Ça m’a touchée car Michel et moi avons le même âge, nous sommes nés en 1962. En visionnant ce documentaire, je me suis pris mes onze à dix-huit ans dans la gueule, je reconnaissais tout, chaque rue de Montélimar…. Michel au clavier, qui rit, qui pleure… c’était très émouvant et difficile à regarder.
Définirais-tu Michel Petrucciani comme ta plus belle rencontre ? Tu as vécu également des choses très fortes sur le tournage de Rendez-vous en terre inconnue…
Il faut que je n’en choisisse qu’une ? Une rencontre déterminante pour moi ? Je vais dire que c’est Django Edwards, le clown qui a été le metteur en scène de l’Ultima Recital. Ça a été une révélation d’être aussi dingue (il en tient vraiment une couche). Ça m’a sciée. Il n’a peur de rien, il n’a froid nulle part. A l’occasion de cette mise en scène, j’avais un peu la pétoche ; mais dès la première fois il a amené sur la scène : rigueur, simplicité et exigence, tout ça à l’américaine, à la seconde, au chronomètre. Cette méthodologie de savoir sculpter un personnage, de savoir l’habiter de A à Z. Il me faisait constamment porter le costume d’Ulrika von Glott (son personnage dans l’Ultima recital, NDR) afin que je sache déambuler dans la rue, aller aux toilettes… – pour apprendre à être réellement cette grande obèse. Même quand on fait le clown, et encore plus quand on le fait, il faut offrir à ton personnages sa nature à lui, avec tes outils à toi.
C’est intéressant ce que tu dis, on se rend compte que dans ta carrière, tout est traversé par cette obsession, ou cette exigence de se réapproprier son propre corps. Ton corps est là, tu le connais, mais pas dans tout ce qu’il est ?
Déjà ce corps, j’ai fait amie amie avec lui. Oh làlà, des années et des années à faire des régimes, ne jamais arriver à canaliser les mille fois où je n’aurai pas du céder, les mille fois où j’ai pris un carreau de chocolat en plus, un dessert quand je n’avais plus faim, où je n’ai pas été « vigilante ». Mais cette vigilance sur le corps, comme un mirador perpétuel : « tu vas faire une interview », « tu vas faire une télé » « tu vas dormir avec ce monsieur », « tu vas sur la plage », alors qu’à vingt ans tu commences déjà à être gourmande et ronde, et sexy… il m’a fallu attendre mes quarante ans pour me dire « oh, c’est bon quoi…! Mon corps vibre bien, il a du plaisir, je connais ses orgasmes et ses rires, je connais sa fatigue quand il va en montagne… Il est gentil mon corps, qu’est ce que je lui fais ? »
C’est drôle cette continuité de personnage entre Ulrika von Glott de l’Ultima recital, et Miss Carpenter ici, qui évoque le fantôme de Sunset Boulevard…
Oui c’est ça, c’est tout à fait ça. Elle est immobilisée, seule dans son appartement haussmanien avenue Foch. Elle dispose de 640 m², pour une personne seule, c’est assez confortable ! Mais c’est gran – han – han, c’est un peu vide- ide – ide (effet d’écho, NDR). Elle a pu être l’actrice dont elle parle, elle continue à répéter « Actress Oscar nineteen sixty seven » (Oscar de la meilleure actrice 1967, NDR). En 1967, elle n’a pas été du tout oscarisée, mais elle le croit et elle le répète à qui veut l’entendre. Puis, un jour, Miss Carpenter reçoit le coup de fil d’un certain Paul, Pôle Emploi. Et là, l’enfer commence : Childéric son conseiller Pôle emploi l’a retrouvée, et si jamais elle ne retravaille pas, elle sera « irradiée ». Cette vieille femme seule et alcoolique, de 82 ans et qui en paraît 50, vit seule avec son chien que son chirurgien esthétique a retapé par la même occasion…
Tu as co-écrit la pièce avec Sébastien Marnier…
Oui, c’est un romancier parisien que j’appelle le Stephen King français ! Il a une noirceur dans laquelle il n’a pas peur de nous entraîner. Après le roman « Mimi » j’ai eu quelques nuits difficiles ! Il sait aller où ça fait mal. Je lui ai demandé d’apporter la profondeur sombre du personnage, tandis que moi j’avais tout le décorum : une vieille femme dingue entre Jayne Mansfield et Mae West, en passant par Anna Nicole Smith, cette starlette qui a hérité de son riche mari, puis est décédé deux ans plus tard, laissant sa fortune à son gigolo, que les enfants du défunt mari sont en train de poursuivre pour récupérer le magot. Je me suis servie de ça, de cette réalité dépassant la fiction, de la mort tragique de Jayne Mansfield, qui a fini comme strip teaseuse minable à Las Vegas… mais il manquait à mon personnage ses « piles de pont », elle n’était posée, et c’est ça que j’ai demandé à Sébastien.
Comment s’est passée la mise en scène entre Steve Suissa et Eric-Emmanuel Schmitt ?
Nous avons alterné les séances avec chacun d’entre eux, et en groupe. Ils sont pratiquement d’accord sur tout, et malgré leur agenda chargé, ils ont réussi dès la première lecture à me dire : « Nous savons où tu veux aller, nous connaissons tes pièges, tes murs et tes forces. Si tu nous fais confiance, nous t’emmènerons là où tu nous as emportés avec ton texte. »
Pas trop difficile pour Eric-Ennmanuel Schmitt, créateur assez solaire, de se frotter à un personnage aussi sombre ?
Ça lui plaît beaucoup, l’aspect lunaire et sombre de ce personnage. Il ne m’a rien enlevé de ce côté là, au contraire ; il la veut vraiment construite, il me demande tout le temps de ralentir : « Elle est vieille… elle a vu des choses… – Mais ça ne va pas être trop long ?!? – Mais non, continue, en blonde, alanguie sur le canapé, folle… » Il aime goûter à la folie de ce personnage. Steve Suissa, lui, est plus dans la technique comme sur un tournage : « Attention à 3…1…2…3… Stop ! Tu as 82 ans – Là tu en as 50. Stop ! J’ai pas vu ! Tu as 82 ans. Tu passes devant la photo. Stop ! J’ai pas vu ! Assieds-toi, etc. etc. » Tous les deux affinent le tir ensemble.
Assumes-tu ce statut d’icône gay, pailletée, Dalida suicidaire ?
Je pense que c’est ça, c’est ce que j’aime aussi. Le public gay est mon tout premier public, je lui suis d’une fidélité absolue. Je suis outrée par la loi qui vient de passer en Russie, dans une colère noire (Loi réprimant toute manifestation publique gay, NDR). Plus personne ne doit acheter de vodka (rires).
Marianne James, animal idéologique et politique, féministe ?
Oui, moi je le suis. Je ne vais pas mégoter : il y a encore beaucoup de travail, et beaucoup de recul actuellement sur l’image de la femme. Plus que jamais, il faut être victorieuse en tout et c’est compliqué. Oui je le suis, engagée. Le spectacle ici n’est pas du tout politisé, alors que l’Ultima recital l’était : Ulrika von Glott souhaitait une troisième guerre mondiale. Notamment le jour des résultats du premier tour des présidentielles 2002 qui coïncidait avec l’avant-dernière du spectacle, donc la 1171ème représentation, et j’ai appris la nouvelle (Duel entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, NDR) trente minutes avant le début du spectacle. Je suis rentrée sur scène au pas de l’oie, Ulrika félicitant le peuple français pour son succès : (accent allemand, NDR) « Vélicitations Peuple de kauche, il féssait beau, fous zêtes pardis piqueu niquer ! » En France, quel choc ! Quand tu as le droit de vote et que tu ne l’utilises pas ! Je suis de gauche et je ne veux pas passer à droite, je trouve qu’ils se défendent très bien eux-mêmes. Bon, dans Miss Carpenter, il n’y a pas tout ça hein, j’ai compris avec l’âge que ce n’était pas forcément mon rôle. Mais sinon, oui, je suis engagée !
Propos recueillis par Mathilde de Beaune
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Miss Carpenter
De Marianne James et Sébastien Marnier
Mise en scène de Steve Suissa et Eric-Emmanuel Schmitt
Lumières : Jacques Rouveyrollis
A partir du 12 septembre 2013
Du mardi au samedi, en alternance, soit à 19h, soit à 21h
Matinée le dimanche à 17h30
Tarifs : 45€ (Carré Or), 37€, 30€, 25€ et 12€
Durée : 1h20
Théâtre Rive Gauche
6 rue de la Gaîté
75014 Paris
Tél : 01 43 35 32 31
M° Montparnasse, Edgar Quinet ou Gaîté
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