Marguerite Duras, les trois âges à l’Atelier
Marguerite Duras, les trois âges Textes de Marguerite Duras Mise en scène de Didiez Bezace Le Square : Avec Clotilde Mollet, Didier Bezace, Gaspard Deseauve ou Denis Pop Marguerite et le Président : Avec Loredana Spagnuolo et Jean-Marie Galey Savannah Bay : avec Emmanuelle Riva et Anne Consigny Jusqu’au 9 mars, voir les horaires des représentations sur www.theatre-atelier.com Réservations : 01.46.06.49.24 Durée : 1h15 environ chaque spectacle Théâtre de l’Atelier |
Du 4 février au 9 mars 2014
Trois textes de l’autre papesse du Nouveau Roman, trois spectacles, trois distributions et un metteur en scène, Didier Bezace, qui restitue à la fois la profondeur et la drôlerie du phrasé de Marguerite Duras grâce à des comédiens au top, un décor d’une sobriété chic, des éclairages somptueux et un lieu qui semble tellement parfait pour y accueillir un tel événement ! Marguerite Duras aurait eu 100 ans dans quelques semaines. Les occasions de célébrer l’une des victimes préférées de Pierre Desproges ne vont pas manquer, en librairie, dans les cinémathèques et bien sûr sur les planches. Didier Bezace propose trois courtes pièces correspondant aux trois âges de la dramaturge. Trois moments forts qui mettent en lumière la quintessence littéraire de l’autre papesse du Nouveau Roman, laissant parler ses non-dits, ce que les mots préfèrent taire, cette apparente déconstruction qui finit si souvent par révéler la solidité de roc et la précision de la dialectique durassienne. Trois mises en scène aux lignes épurées, aux lumières chaudes et d’une belle intensité. Marguerite et le Président : causez, jeunesse ! Dans ce cours spectacle, Marguerite Duras et François Mitterrand discutent. De tout et de rien. Du superflu et de l’essentiel. Ils se sont rencontrés souvent. Ils se sont admirés car lui aimait les lettres et elle la politique. Pour incarner la candeur (feinte ou réelle ?) de la romancière face à l’homme d’état, Bezace les fait discuter autour d’une immense table trop grande pour eux et surtout pour la comédienne de 12 ans qui interprète Duras. Ce choix de distribution confère certes à l’ensemble une fraicheur et une certaine drôlerie mais peine à le maintenir dans une coloration durassienne, la jeune Loredana Spagnuolo endossant un costume quand même trop ample pour ses jeunes épaules. Jean-Marie Galey est en revanche un Mitterrand très convainquant. Le Square : bel endroit pour une rencontre… Ce texte, choisi pour représenter l’âge adulte, est un des plus beaux de Duras qu’elle disait avoir écrit « en écoutant se taire les gens dans les squares de Paris ». Une femme surveille dans un square un enfant qui n’est pas le sien. Surgit un homme, représentant de commerce. S’engage un dialogue d’une totale courtoisie qui révèle leurs béances existentielles à tous les deux, leur marginalité, leur invisibilité. Ils se rapprochent pour mieux se motiver à faire table rase de tout cela, à oser ouvrir des portes sur un avenir qu’ils croyaient tracé d’avance. Deux personnages qui font songer au Meursault de Camus vont se dévoiler et livrer un ballet amoureux sans cet amour physique qui pourrait tout détruire. Un amour pur de l’Autre. Didier Bezace, qui incarne le représentant, fait des merveilles face à Clothilde Mollet qui reprend 10 ans après sa création au théâtre de la Commune ce rôle qui lui va sur mesure. Un spectacle qui parvient à aller chercher la sibylline drôlerie de son texte. Une drôlerie sérieuse. Fait-on plus durassien ? Savannah Bay : « Mourir, cela n’est rien, mais vieillir… » (J.Brel) C’est une des pièces les plus connues de Duras. Une des plus terribles aussi. Une ancienne comédienne de théâtre qui a triomphé sur toutes les scènes n’est plus que le fantôme de son passé mirifique. Après le suicide par noyade de sa fille le soir où celle-ci a enfanté, elle s’est enfermée dans un autre monde que va tenter de percer sa petite-fille, celle-là même née le jour où sa mère est morte. La grand-mère qui n’a jamais vu cette jeune femme, pourtant chair de sa chair, va se dévoiler devant cette inconnue… 55 ans après avoir fait découvrir Duras au monde entier avec « Hiroshima mon amour » de Resnais, Emmanuelle Riva revient rendre visite à celle qu’on a plus souvent associée à Seyrig, Moreau ou Ogier. Pourtant, l’évidence s’impose et face à Anne Consigny, toujours très juste, celle qui a bouleversé la France, le festival de Cannes et même l’académie des Oscars avec « Amour » d’Haneke est sublimement durassienne. Elle incarne bien sûr la période de la vieillesse, cet âge qui précédant le couperet final et que la mise en scène va symboliser d’une manière très radicale. Mais une vieillesse ici encore bien verte et vive chez cette magnifique comédienne. Un vrai bonheur. Franck Bortelle |
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