Maîtres anciens au Théâtre de la Bastille, fougueuse modernité
Pour ce spectacle, le prodigieux comédien Nicolas Bouchaud s’est associé une fois de plus avec brio à ses complices Erid Didry pour la mise en scène et Véronique Timsit pour la collaboration artistique. Ensemble, ils réussissent une percutante adaptation scénique du roman cinglant de Thomas Bernhard sous-titré « Comédie ».
Depuis des années, Nicolas Bouchaud propose des textes initialement non-théâtraux. Il les ausculte et les découpe, en extirpe l’essence et les offre au public avec son talent d’interprète à la fois intense et raffiné. Longue silhouette longiligne et musclé, visage qui peut tout autant faire passer la fraicheur enfantine que la densité d’un sage, Nicolas Bouchaud habite son texte qu’il sert de tout son corps et toute sa pensée. Pour ce récit rédigé par le célèbre auteur autrichien dans les dernières années de sa vie, il a fallu considérablement cisailler avant de parvenir à cette partition qui brille par l’irrévérence.
Le spectacle se déroule dans une salle du musée d’Histoire de l’art de Vienne, où Reger, critique musical, a rendez-vous avec Atzbacher qui, arrivé en avance, se laisse aller à ses observations et réflexions hautement corrosives. Basée sur une pluralité de voix et de temporalités, la pièce multiplie les registres dans lesquels le comédien se glisse avec un sens du rythme, du phrasé, du geste et du regard, qui tient le public dans une rare acuité d’attention. Alors que Reger s’assoit chaque jour sur une banquette face à L’Homme à la barbe blanche du Tintoret, il s’emporte contre les artistes et intellectuels qu’ils passent au crible de son talent de critique sans concessions jusqu’à en être parfois comique. Les diatribes contre Beethoven, Heiddegger, Dürer et bien d’autres manient une férocité célinienne associée à un humour qui fait mouche. Les phrases sont un travail d’orfèvre et les arguments pour vilipender les maîtres possèdent une puissance cruelle et désopilante. Les figures tutélaires qui appartiennent essentiellement au patrimoine allemand et autrichien sont déboulonnées, l’État ainsi que le religion sont copieusement passés au scalpel.
Le plateau où domine une tonalité de beige évoque le musée avec une bâche rectangulaire neutre, tandis qu’un tourne-disque et des caisses suffisent à cadrer l’espace où Nicolas Bouchaud se meut avec une souplesse tragi-comique. Il allume au sens propre des mèches dont on craint la déflagration et il s’en amuse avec la véhémence malicieuse de celui qui châtie ce dont il ne peut se passer. Les interrogations tant sur l’art et la philosophie que la politique se percutent dans un jeu de massacre acéré et jubilatoire. Et quand vient la question du deuil, celle du vide absolu, alors Nicolas Bouchaud opère des ruptures de jeu de grand stratège. Le protagoniste invite à penser la société mais aussi la place de l’individu, et fort d’une exigence esthétique et morale insatiable, il prend sous les traits de Nicolas Bouchaud l’allure d’un tourment incandescent qui imprime durablement sa marque aux spectateurs.
Emilie Darlier-Bournat
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