Mademoiselle Julie – Théâtre de l’Odéon
Des gens modernes
Le drame de classe écrit par Strindberg en 1888 semble avoir été écrit hier, sauf peut-être pour la langue, très soignée, belle. Mais la modernité des problématiques psychologiques qui oppressent ou obsèdent les personnages nous frappe. L’identification est possible. L’humour très présent. La salle rit, s’identifie, c’est étonnant, profondément actuel. C’est d’ailleurs le parti pris du metteur en scène, Frédéric Fisbach, que de mettre cette modernité en avant. Il propose un intérieur d’architecture ultra moderne, et le bal donné par Julie pour ses domestiques avec qui elle danse, se mélange, s’apparente à n’importe quelle soirée d’ajourd’hui (playlist y compris). Les protagonistes du drame, Julie et son valet Jean, forment un duo électrique. Julie, morte d’ennui, perdue, abandonnée, est prête à tout pour exister dans les yeux de quelqu’un qui lui dicterait enfin qui elle doit être et la vie qu’elle doit mener. Jean s’impose comme la figure forte en ce soir de la Saint-Jean, où Julie « est vraiment folle », désaxée. C’est le drame d’une nuit, intemporel, entre deux êtres d’une classe sociale différente. Leur relation danse sur la perpétuelle oscillation du désir et du dégoût, de l’amitié et de la haine. Nicolas Bouchaud crée un Jean d’une passion complexe et charismatique, se confrontant à celle de sa jeune maîtresse ; leur combat d’égo nécessitait des comédiens à la hauteur.
Mystère
Le charisme y est, la justesse du jeu aussi, mais quelque chose manque… Le mystère. Oui, cette aura de mystère que entoure le personnage de Julie semble absent de la scène, absent. Or, Mademoiselle Julie regorge de mystères, malgré son exubérance et ses récits d’enfance, malgré ses questionnements partagés avec l’assistance, elle conserve une part de secret qui devrait apporter à sa présence cette singularité propre. La Julie de Juliette Binoche serait-elle trop légère, trop dans la démonstration ? La dualité du personnage est très bien approchée et comprise, les passages hystériques et rêveurs réussis, mais voilà, il a manqué le mystère qui confère une supériorité naturelle au personnage et provoque un choc plus intense à la fin.
Contre-point
Kristin, la cuisinière, officieusement fiancée à Jean, s’endort pendant la fête, laissant libre cour aux divagations et au drame psychologique qui vont se tenir en son absence. Son personnage interprété par Bénédicte Cerutti, donne un parfait contre-point aux deux êtres belliqueux qui l’entourent. Son réveil sonne le glas de la rêverie nocturne, des passions et du décloisonnement des classes. Elle impose un retour au respect, à la rigueur et aux bonnes meurs avec une simplicité d’une grande subtilité.
Une très bonne version de Mademoiselle Julie, même si quelques exigences seront peut-être déçues, beaucoup seront franchement dépassées. Nicolas Bouchaud est magistral. Allez-y, bientôt, la fin des années Py !
Nathalie Troquereau
Mademoiselle Julie
D’August Strindberg
Mise en scène de Frédéric Fisbach
Avec Juliette Binoche, Nicolas Bouchaud et Bénédicte Cerutti
scénographie et lumière : Laurent P. Berger // Costumes : Alber Elbaz pour Lanvin // Dramaturgie : Benoît Résillot
Traduction : Terje Sinding // Collaboration artistique : Raphaëlle Delaunay
Du 18 mai au 24 juin 2012
Du mardi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h
Tarifs : de 6€ à 32€
Durée : 1h50
Théâtre de l’Odéon
Place de L’Odéon
75006 Paris
[Visuel : Christophe Raynaud de Lage]
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