“Made in France” : comédie décapante sur un désastre industriel
© Jules Despretz
Après “Coupures”, leur dernière création, dédiée au désastre écologique, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget reviennent au Théâtre de Belleville pour leur dernière comédie, l’histoire d’une usine délocalisée qui devient le théâtre de cyniques tractations. Le monde du travail, le syndicalisme, les cabinets ministériels et les cadres voraces des fonds d’investissement sont les champs de mines explosives où se débat la joyeuse troupe de comédiens : réjouissant.
De la folie pour évoquer des sujets sérieux
Charlie Chaplin a passé sa vie à faire le clown, élégant et attendrissant, pour dénoncer la misère sociale, les inégalités et les discriminations engendrées par le capitalisme américain. Dans cette dernière création, Samuel Valensi et Paul-Eloi Forget, avec leur compagnie La Poursuite du bleu, imaginent un héros candide qui ressemble étrangement à Charlot. Au moment où il est libéré sous condition de bonne conduite, avec un bracelet électronique, pour accomplir un travail d’agent d’entretien, il se rend compte que l’usine où il doit travailler est en ébullition. Le plan social est déclenché, on délocalise et les employés seront condamnés au chômage. C’est la grève générale. Le directeur s’enferme dans son bureau pour ne pas être lynché, et grâce à un quiproquo, prend le prisonnier pour un émissaire envoyé par le groupe financier. C’est lui qui doit donc annoncer « le ménage » en cours -avec le double sens du mot “ménage”- et la fermeture de l’usine. Mais comme Charlot, en butte à une syndicaliste qui veut sauver sa propre peau dans ce combat de titans, le modeste héros cherche à sauver sa liberté, sa dignité, qui passent par un travail.
Rythme et comédie

© Jules Despretz
Comme dans Coupures qu’ils avaient présenté il y a deux ans, qui était une fable écologique, ce spectacle est né d’une enquête sur le phénomène de désindustrialisation et ses conséquences, après les affaires Alstom, Arcelor Mittal ou les FRALIB. Epluchant les rapports d’enquêtes de commissions parlementaires, questionnant les syndicats, rencontrant des acteurs politiques et des consultants en stratégie industrielle, les auteurs dessinent à gros traits des situations et des personnages qui mettent tout en œuvre pour ne rien faire, sinon exploiter leur revanche personnelle, au mépris des employés les plus démunis et du bien commun. Au centre du plateau, une batterie, comme un gros coeur qui pulse, devient le moteur de l’usine qui vrombit, le vacarme des manifestations, la roulade de tambours des apparitions ministérielles et des conférences de presse. Bien entendu, la caricature d’une syndicaliste qui ne décolère pas et ne tolère aucune contradiction peut faire sourire, mais les ministres et chefs de cabinets ne valent guère mieux, uniquement préoccupés par leur futur portefeuille et le rôle qu’ils auront dans la prochaine campagne.
No future

© Jules Despretz
Dans une scénographie mobile et des lumières explosives, les comédiens virevoltent d’un personnage à un autre, multipliant les changements avec des costumes ingénieux. June Assal, Valérie Moinet, Michel Derville ou Bertrand Saunier, Paul-Eloi Forget ou Thomas Rio, Samuel Valensi, Mélanie Centenero ou Chloé Denis à la batterie, impriment au spectacle un rythme et un brio tout à fait réjouissants. L’appât du gain, la réduction des cadences de travail, la médiocrité des garanties sanitaires dans une société à la concurrence effrénée conduisent chacun des personnages à redoubler d’égoïsme et de revanche, puisque chaque situation est un combat individuel. Au bout du compte, la comédie dynamite toutes les apparences sociales pour aboutir à un jeu de massacre collectif où triomphe le mensonge. C’est drôle et désespérant, cruel et revigorant. Mais d’une lucidité dévastatrice.
Hélène Kuttner
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