“Lumières du corps” : Marcel Bozonnet s’empare avec bonheur de l’œuvre de Valère Novarina
Tel un funambule, un acrobate du verbe, le comédien Marcel Bozonnet s’empare de ce récit poétique et furieux de Valère Novarina pour en faire un solo habité, magistralement interprété, dans la petite salle du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie. On ressort de là ébahi par tant de fougue et de poésie, épaté par l’art de l’acteur hors normes qui fait vibrer un texte puissant.
Le langage comme un sport de combat
“L’acteur procède au lancer de langage : comme des dés dans l’air, les mots sont des rébus à six faces qui tombent sur l’une seulement. Les phrases sont des énigmes que l’acteur ne résout en rien ; il tient dans ses mains les mots irrésolus en faisceaux d’équations ouvertes.” C’est ainsi que Valère Novarina, écrivain, poète, peintre et dramaturge, auteur d’une centaine de textes déjà représentés à travers le monde, et dont le dernier, Les Personnages de la pensée, vient de triompher au Théâtre de la Colline, définit l’acteur sur scène. Marcel Bozonnet, comédien et metteur en scène, qui a fait entrer Valère Novarina au répertoire de la Comédie Française alors qu’il en était l’administrateur en 2006, avec la création de L’Espace furieux, devient aujourd’hui l’interprète éblouissant de l’auteur Novarina. Dans une scénographie d’une blancheur spectrale, sculptée par les lumières subtiles de Titiane Barthel, le comédien habite, à la manière stylisée d’un acteur de théâtre nõ, la prose insolite et fulgurante de Novarina.
Acrobate du verbe
Lumières du corps est un recueil de huit textes nourris par les expériences d’écriture et de mise en scène de Novarina, comme L’Origine rouge ou La Scène, dans lesquels il évoque ses réflexions sur l’espace, l’acteur, l’écriture, les pouvoirs du langage. L’œuvre procède d’une fugue qui entrecroise et conjugue les mots, prosaïques ou bibliques, temporels ou spirituels, qui agissent comme des personnages pris dans l’architecture d’une pensée. Marcel Bozonnet s’y plonge avec rigueur et passion, tour à tour acteur japonais pétrifié, tantôt Fregoli de la comedia dell’arte, immobile ou vibrionnant comme un gentil diable, enchaînant les suites algorithmiques complexes, déclinant les principes de la mémoire de l’acteur, convoquant la Genèse et la naissance du Verbe divin en même temps que le sacrifice du personnage au théâtre. Comédie et tragédie se battent en duel sur la scène, le langage en entier et sa force cosmique tambourinent dans un seul et même personnage : l’acteur et son espace scénique dans un combat singulier et collectif, soit l’homme et le monde.
Acteur de rien
Ce qu’il y a de très beau dans ce spectacle, c’est la rencontre entre un comédien et un auteur au terme de quarante ans de compagnonnage pour dire la primauté, la joie du langage. Ce sont les mots, cet entrelacs lexical, mâtiné de néologismes, de latin et d’ancien français, qui sont les opérateurs du monde. Ce sont les vrais, les puissants acteurs de l’univers, quand l’acteur n’est que masque. Et Bozonnet, clown céleste derrière son regard poudré de blanc, nous le dit bien : qu’y a t-il dans le corps d’un acteur ? rien ! Et si ce spectacle n’était qu’un pied de nez au réel et à la vanité des apparences ? Un appel à la nécessité de nous amuser de la vie, de la mort, en renversant avec humour les évidences. En nous rappelant, par la magie du théâtre et de l’artifice dramatique, que l’homme est un éternel fugitif, un migrant, qui traverse l’espace de la vie.
Hélène Kuttner
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