Luc Bondy : “Le théâtre n’est pas un moyen mais une fin.”
Luc Bondy |
Peter Stein voyait en lui une “sorte d’oiseau de paradis du théâtre allemand avec des plumes aux couleurs françaises”. Dramaturge de talent, directeur du Théâtre de l’Odéon, Luc Bondy nous a quittés. Retour sur le parcours de cet oiseau rare, aussi cosmopolite qu’éclectique. Luc Bondy voit le jour le 18 juillet 1948 à Zurich et baigne dès son plus jeune âge dans une culture européenne et cosmopolite. Fils de journaliste, petit-fils du directeur du théâtre de Prague, sa famille juive a fui l’Allemagne nazie. L’enfant suit une scolarité en France, et se forme à l’art dramatique auprès de Jacques Lecoq et à l’Université Internationale de Théâtre. Décidé à se consacrer à la mise en scène, il gagne l’Allemagne et débute à 21 ans en tant qu’assistant au Thalia Theater de Hamburg. Deux ans plus tard l’artiste en herbe signe sa première mise en scène à Göttingen : Le Fou et la Nonne de Witkiewicz. Suivent plusieurs mises en scènes de Goethe, Shakespeare, Genet, Ionesco ou encore Edward Bond. À la Städtische Bühne de Francfort, le Théâtre municipal, sa mise en scène du Triomphe de l’amour de Marivaux rencontre un succès retentissant. Les spectacles Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz (1981), Oh les beaux jours de Beckett (1981) et Macbeth de Shakespeare (1982) sont montés à Cologne. Le jeune talent suscite bientôt l’intérêt des plus grands dont Klaus-Michaël Gruber ou Peter Stein qui voit en lui une « sorte d’oiseau de paradis du théâtre allemand avec des plumes aux couleurs françaises ». Il lui succèdera en 1985, à la tête de la Schaubühne de Berlin. En 1994, le dramaturge est élu membre de l’Académie des Arts de Berlin. L’artiste étend bientôt sa reconnaissance au niveau européen et arpente avec un même succès les scènes françaises ou belges. Dans l’Hexagone, il est révélé par Patrice Chéreau, en 1984, avec la création de Terre Étrangère de Schnitzler, au Théâtre des Amandiers. Le spectacle aborde le thème de l’adultère et choque. D’une insatiable curiosité , Luc Bondy explore les textes européens comme et monte notamment La Mortification (1982), d’après le romancier autrichien Frantz Nabl, et son adaptation de Terre étrangère (1987). Alors qu’il se produit régulièrement dans les Théâtres du Rond Point, de Nanterre ou des Bouffes du Nord, l’artiste est nommé directeur du théâtre de l’Odéon en 2012 par le ministre de la culture François Mitterrand. Sa succession à Olivier Py génère polémiques et protestations. Proche d’auteurs allemands dont il s’inspire tels Botho Strauss et Peter Handke, Luc Bondy se tient à l’écart du théâtre politique, du brechtisme et de toute tentative de démonstration ou de pédagogie. Refusant l’excès de théâtralité, le culte de l’illusion, mais aussi le naturel, le dramaturge œuvre dans la sphère de l’intime mais évite tout intimisme. Le metteur en scène s’intéresse à la manière dont la psychologie, l’inconscient travaillent les corps et les attitudes. Éclectique, Luc Bondy se passionne également pour l’opéra et le cinéma. Il triomphe sur la scène lyrique et met en scène Alan Berg, Puccini, Mozart ou Strauss. De 2002 à 2013, il dirige le festival de Vienne en Autriche. Il s’essaye au septième art, et réalise trois films, influencé par l’univers de Lubitsch ou d’Ophüls. Le 28 novembre 2015, Luc Bondy, qui fut confronté toute sa vie à la maladie, s’éteint à l’âge de 67 ans. Inhumé au cimetière du Père Lachaise, sa disparition brutale ouvre un grand vide qui ébranle le milieu du spectacle et de la culture. Citations « Je suis profondément éclectique. Tout m’inspire. Comme un acteur, je me laisse imprégner sans chercher à me définir par rapport à quelqu’un d’autre. Le théâtre, après tout, c’est juste un métier où l’on joue. Et tout y joue. C’est un mélange permanent de gens, de mots, de choses hétéroclites. » Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012 « Je ne suis pas du tout brechtien, j’ai horreur de la “distanciation” du jeu, des comédiens qui démontrent leur rôle plus qu’ils ne l’incarnent. Mais j’ai horreur, aussi, des comédiens qui croient dur comme fer au personnage, qui “entrent dans sa peau”, comme s’il existait des personnalités fermées qui n’évoluaient pas au cours de la pièce ! » Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012 « À quoi sert-il ? À rien. À se laisser raconter par d’autres… Je ne fais pas de théâtre pour dire quelque chose, politique ou autre. Le théâtre n’est pas un moyen mais une fin. Traquer la vie. Et ce qui n’a pas de vrai but est essentiel : ça équilibre l’esprit. » Interview de Télérama, recueillie par Fabienne Pascaud, 8 septembre 2012 Bibliographie sélective Théâtre 1971 : Les Bonnes de Jean Genet, Fabrik Hambourg Opéra 1977 : Lulu opéra d’Alban Berg, Staatsoper Hambourg Jeanne Rolland |
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