Los demonios au Vingtième Théâtre
Dans le roman et la pièce de Valérie Boronad, au-delà de l’histoire de l’Argentine, il s’agit aussi des « démons qui nous hantent et forment indéfectiblement la nature de l’homme qui doit constamment décider d’y céder ou de les affronter. » La tragédie de l’Argentine devient pour Valérie Boronad une métaphore de tous les exils, de la perte, du deuil des siens, d’un pays, de son identité. Fille d’une famille déracinée, d’origine hispanique par son père, italienne par sa mère, ses grands parents ont émigré fuyant les dictatures fascistes, elle sait de quoi elle parle.
Dans Los demonios, Luis, dont la famille est menacée par la dictature militaire, embarque sa femme Ana et leur fils d’un mois et demi sur un bateau qui les emmènera en exil en France. Lui-même est forcé de s’engager dans la guérilla et aura pour mission d’abattre un général. Pris par les militaires, il sera confronté à la torture, au chantage, au choix : perdre sa famille ou la sauver en trahissant ses camarades. Son fils Samuel, surnommé par sa mère Tango, grandit en exil nourri de l’amour qui unissait ses parents et du mythe du père héroïque qu’il n’a jamais connu, dont il ignore tout. A la mort de sa mère, devenu écrivain, il revient dans l’hôtel de son enfance tenu par un Argentin, Augusto, qui les a accueillis à leur arrivée en France. Il va questionner son passé familial, réinventer son père absent et réécrire le roman de ses origines. Il tente de se retrouver parmi les fantômes du passé qui l’assaillent et le hantent.
Une écriture étonnante, poétique, captivante
Dans une écriture étonnante, poétique, captivante, Valérie Boronad trace la quête de Samuel. Sa quête de lui-même, de la vérité, qui passe par l’écriture et l’imaginaire. Un voyage parmi les ombres, où le réel, les découvertes troublantes heurtent l’image idéale, bousculent les notions du bien et du mal, du bourreau et de la victime, de l’héroïsme et du sacrifice. Un voyage qui nous précipite dans un univers trouble où l’être humain confronté à lui-même fait le choix d’un aller sans retour.
Pour mettre en scène cette partition théâtrale complexe, l’espace mental de l’écriture, reconstruction du passé, où les traces du réel, les souvenirs, l’imaginaire fusionnent, Philippe Boronad opte pour une dramaturgie plurielle, démultipliant les moyens narratifs dans une construction sonore, intégrant la vidéo et les effets olfactifs. Sur scène, il n’y a que deux grands panneaux mobiles au fond, une table, une chaise évoquant une chambre d’hôtel où Samuel, arrivé avec une valise, va tantôt écrire, tantôt lire : des lettres ? un journal intime ? Sur les panneaux sont projetés les titres des chapitres de son roman ou peut-être les étapes de sa quête, le visage de sa mère et des formes abstraites évoquant l’univers flou, trouble, que Samuel tente de déchiffrer.
Samuel (Philippe Boronad), Ana, sa mère morte (Moana Ferré), Augusto l’hôtelier (Luis Jaime-Cortez) et les voix des personnages fantomatiques, Luis le père, le chef des militaires, s’interpellent dans l’espace et le temps. Mais ce scénario sonore, à priori ingénieux, qui a pour but d’aspirer le spectateur dans l’univers intérieur de Samuel, fonctionne mal. Les voix sonorisées, déformées pour certains personnages, sont parfois inaudibles. Le tissage sonore d’échanges entre les personnages dans des espaces temps différents, difficile à suivre, brouille les pistes, ajoute de la confusion, de sorte qu’on peut lâcher prise. Bref la dramaturgie scénique sophistiquée s’avère inopérante.
Pourquoi faire simple si on peut faire compliqué ? Par chance le spectateur, largué par le spectacle, peut se reporter au roman de Valérie Boronad publié aux Editions Belfond.
Irène Sadowska Guillon
Los demonios
De Valérie Boronad
Mise en scène de Philippe Boronad
Avec Philippe Boronad, Moana Ferré et Luis Jaime-Cortez
Jusqu’au 25 avril 2010
Du mercredi au samedi à 19h00 et le dimanche à 15h00
Réservations : 01 43 66 01 13
Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Métro Ménilmontant ou Gambetta
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