L’opposition Mitterrand vs Rocard au Théâtre de l’Atelier, duel politique
© Maria Letizia Piantoni
Ici, la question est : être ou ne pas être le candidat du Parti Socialiste à l’élection présidentielle de 1981 ? Les deux rivaux François Mitterrand et Michel Rocard y aspirent avec la même ambition. On assiste à leur dialogue supposé dans l’appartement de Mitterrand, alors secrétaire général du PS. Les deux bretteurs n’ont pas la même carrure, l’un est nerveux, l’autre a la force tranquille.
Bien que l’on en connaisse l’issue, le tête-à-tête entre ces deux figures politiques vaut pour sa redoutable ruse et son piment quant à l’art de converser diplomatiquement. Nous sommes dans le courant de l’année 1980 et Mitterrand reçoit Rocard dans son appartement personnel rue de Bièvre. Le bureau est imposant mais la bibliothèque l’est encore plus. Haute au point de rejoindre les cintres de la scène, elle évoque à elle seule un élément moteur de la personnalité de François Mitterrand, la littérature. À cela s’ajoute son goût pour la nature, qu’une fenêtre sur le plateau indique discrètement et vers laquelle Mitterrand va souvent se diriger, parlant du temps, de la pluie et des oiseaux. En face de cet hôte qui se cache subtilement derrière ses centres d’intérêt autres que la politique, Michel Rocard, vêtu d’un imperméable gris-beige, ressemble plus à un employé de bureau qui se déplace en métro avec une sacoche remplie de dossiers chiffrés.

© Maria Letizia Piantoni
Le contraste entre les deux hommes est évident et François Mitterrand, perspicace, ne cesse de se déplacer avec habileté sur la ligne qui les sépare. Il est posé, mystérieux aussi, les mains de préférence croisées derrière le dos à moins qu’il ne touche un livre de Lamartine posé sur son bureau. Il laisse volontairement Michel Rocard se découvrir, exposer ses intentions, dévoiler et développer les grandes lignes sur lesquelles il fondera sa campagne présidentielle. Alors maire de Conflans-Sainte-Honorine et beaucoup plus jeune que Mitterrand, Rocard débite son programme dont la tournure est orientée vers une complaisance avec la droite pour des questions économiques. Mitterrand écoute et intervient avec son art des formules assassines sans en avoir l’air. Il recadre son interlocuteur en lui rappelant les fondements socialistes, le sphinx est alors attaqué sur son passé notamment vichyste. Les piques fielleuses ne manquent pas de part et d’autre, toujours très calmes voire ironiques du côté de Mitterrand, moins contrôlées du côté de Rocard. L’homme expérimenté laisse ainsi Rocard se fatiguer, s’épuiser même, avec un ton paternaliste faussement protecteur quand son poulain n’en peut plus.
Les deux acteurs réussissent à endosser avec crédibilité ces deux hommes qui ont tracé un pan de la politique française, François Mitterrand au plus haut niveau. Ils parviennent à transmettre les divergences de leurs tempéraments et l’on connaît la suite de leur relation devenue plus féroce. Pour ceux qui ont traversé cette période ou pour les plus jeunes, ce morceau d’opposition au sein d’un même parti mérite de l’attention, car l’impact sur la vie française en fut et en reste important, le PS ayant été remué dans ses fondements à travers ces protagonistes. Les dialogues rassemblés ont une réelle exactitude voulue par l’auteur et l’ensemble, bien que linéaire, ne manque pas de valeur de transmission et d’information.
Émilie Darlier-Bournat
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