“L’Opéra de quat’sous” à Aix-en-Provence avec la Comédie Française
C’est l’événement de la 75ème édition du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en Provence. « L’opéra de quat’sous », première vraie collaboration entre Brecht et le compositeur Kurt Weill, mais aussi la première mise en scène lyrique signée par Thomas Ostermeier, qui monte cette œuvre très politique dans une nouvelle traduction française avec les brillants comédiens-chanteurs de la Comédie Française sous la direction musicale du chef Maxime Pascal. Une première haute en couleurs mais qui ne tient pas entièrement ses promesses.
Un « opéra des gueux » au Théâtre de l’Archevêché
Inspiré d’une oeuvre de John Gay (1728), cet opéra-ballade créé en 1928 va à l’encontre des formes traditionnelles de l’opéra en s’inscrivant ouvertement dans une parodie sociale des bas-fonds de Londres dans les années 1920. L’action se déroule dans une maison de malfrats et de prostituées, où Jonathan Peachum, grâce à son entreprise « L’ami du Mendigot », concentre, avec un art consommé du business, la gestion de la pauvreté et du crime, tout en découvrant avec fausse naïveté ces atrocités avec son épouse et leur fille chérie. C’est sans compter l’irruption vénéneuse d’un criminel séduisant, surnommé Mac-la-lame, qui conquiert la fille et la famille Peachum avant d’être pendu devant l’assemblée populaire.
Un projet hors-normes
C’est le brio de cette comédie satirique en huit tableaux, racontée par la biais d’un enchaînement de chansons burlesques et joyeuses, à la prose ironique et désespérée, soutenue par une composition musicale originale mêlant le jazz aux musiques populaires d’Europe Centrale, qui a profondément séduit le metteur en scène Thomas Ostermeier, depuis longtemps habité par l’univers formel et les idées de Brecht. Pour sa troisième collaboration avec la Comédie Française, il revendique aussi son choix de diriger des comédiens ayant une solide formation lyrique, ce qui est le cas pour des artistes qui participent régulièrement à des projets en lien avec la musique et la chanson. Et c’est sur l’invitation de Pierre Audi, directeur du festival, et avec le savoir faire du brillant chef-d’orchestre Maxime Pascal, que ce projet hybride vient percuter la bienséance de la tradition opératique.
Spectacle en lutte
A l’avant-scène, une rangée de micros sur pied revendique cette atmosphère de cabaret qu’une lumière blanche, éclatante, inonde sans pudeur avec ses projecteurs. Aucun décor, seul un promontoire métallique, serti de deux escaliers, permet d’imaginer tous les lieux de la ville. En hauteur, un patchwork d’affiches lumineuses et de petits films donne au spectacle une esthétique de collage hybride : constructivisme de Lissistzky, biomécanique du théoricien russe Meyerhold avec ses expériences sur le mouvement, mais aussi images d’archives sur les années noires en Allemagne, la famine et la guerre, sur les mouvements de révolte et de révolution en Europe et Russie. L’espace est ouvert sur le public, annulant le quatrième mur pour faciliter les échanges avec le public à qui on demande de participer.
Comédiens vaillants
Vêtus de costumes bigarrés, paillettes des cabarets berlinois, ou rapiécés avec du noir contrastant avec des couleurs criardes, les acteurs naviguent habilement entre voix parlée, déclamée et chant, forts d’un travail technique remarquable. La jeune Marie Oppert, lauréate du concours Kurt Weill /Lotte Lenya et qui a fait ses classes dans le domaine lyrique et dramatique, campe une Polly radieuse, timbre clair et voix projetée parfaitement, subtilement délurée. Véronique Vella est plus que parfaite dans le rôle de Célia, avec une gouaille délicieuse tandis que Christian Hecq déploie son agilité clownesque pour incarner avec suffisamment de rouerie et d’humour le père Peachum. Birane Ba est le terrible Macheath et Claïna Clavaron Lucy, fine et coquine. Dans le rôle de Jenny la prostituée au grand cœur, Elsa Lepoivre prête sa gracieuse violence et son corps de danseuse tandis que Benjamin Lavernhe s’amuse à jouer les justiciers aux gros bras. Malgré tous ces talents, cette belle énergie, le rythme du spectacle semble parfois s’enrayer et les gags, tarte à la crème, alourdir et ralentir l’intrigue. Trop sage sans doute, trop lisse, compte-tenu de l’anarchie brouillonne, sanglante et très provocante de cette œuvre, le spectacle gagnera sans doute avec plus de fluidité et de folie lors de sa reprise à l’automne à Paris. L’orchestre Le Balcon, en tous cas, qui mélange instruments traditionnels, banjo, accordéon, balalaïka ou harmonium, et instruments, est à saluer.
Hélène Kuttner
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