“L’Olimpiade” : époustouflant mariage de la musique et du sport au TCE
Dans le cadre de l’Olympiade Culturelle de Paris 2024, une programmation artistique et culturelle qui explore le lien entre l’art, le sport et les valeurs olympiques, le Théâtre des Champs Elysées propose « L’Olympiade » de Vivaldi que dirige le chef d’orchestre Jean-Christophe Spinozi. La mise en scène renversante d’Emmanuel Daumas conjugue l’athlétisme, la break-dance et l’opéra. Le contre-ténor et danseur de hip-hop Jakub Józef Orliński et la mezzo soprano Marina Viotti sont les deux stars de cette fantaisie totalement débridée et incarnée par un casting épatant. Une réussite totale.
L’amour dans tous les sens
C’est justement sur les Champs Elysées, près de la ville d’Olimpie dans la Grèce antique, que se déroule l’intrigue de cet opéra composé et joué à Venise en 1734 par Antonio Vivaldi sur un livret du poète Metastase et d’après Hérodote. Et c’est sur le plateau du Théâtre des Champs Elysées qu’est présentée cette œuvre au baroque flamboyant, qui met en scène deux amis, Licida, jeune prince crétois, et Mégacle, un athlète de haut niveau. Le roi de Sicyone, Clistène, promet sa fille Aristea en mariage au vainqueur des Jeux Olympiques. Or Licida est fou amoureux de la jeune fille et demande à son meilleur ami, Megacle, de concourir en son nom. Ce qu’il ignore, c’est que ce dernier aime aussi en secret Aristea. C’est après la victoire éclatante de Mégacle que les choses vont se gâter : le jeune champion doit s’exiler pour sacrifier son amoureuse à son meilleur ami. L’amour, l’amitié, la fidélité et le sens de l’honneur, mais aussi la trahison, la tricherie, la rivalité et le secret sont les ingrédients torrides de cette histoire qui commence comme une farce et qui évolue vers un drame amoureux.
Vivaldi en majesté
Pour colorer les labyrinthes affectifs, pour nourrir l’ascenseur émotionnel des personnages, le compositeur multiplie les arias, brise les rythmes, alterne en les modulant les répétitions, juxtapose les scènes de comédie et les moments de drame. Sa musique se révèle délicieusement riche, généreuse et joyeuse. Et le metteur en scène Emmanuel Daumas se saisit du baroque de ces situations pour en mélanger les genres, plaçant le début de l’opéra dans un gymnase avec matelas de chute et chevaux d’arçon. Cinq danseurs athlétiques rivalisent dans une démonstration de leurs exploits musculaires, prenant la pose des statues grecques. Les chanteurs se mêlent à eux, dont le jeune prodige Jakub Józef Orliński, dans son maillot de corps fluo, qui conjugue avec grâce et talent un répertoire de contre ténor et une carrière dans le hip-hop. La réussite de ce spectacle tient dans cette tension permanente entre la voix et le corps, l’un et l’autre scindés dans une même exigence d’excellence et d’humour. L’effet est saisissant. Puis survient Marina Viotti en Megacle body buildé, exhibant son corps tout en muscles et en tendons, avec une voix de velours, la finesse de sa ligne mélodique et une puissance dramatique émotionnelle peu commune. Sa composition est sidérante.
Chorégraphie burlesque
Du côté des princesses, la mise en scène accentue le ridicule de leur sort, soulignant aussi le peu de cas que l’on faisait des femmes à l’époque. La soprano Caterina Piva campe une Aristea amoureuse et pleine de rage, possessive et tendre à la fois, sensuelle et malheureuse, alors que Delphine Galou est la délaissée Argene, qui se morfond dans son palais de l’inconstance des hommes, perchée sur des talons argentés. Costumes de fête, accessoires de carnaval, couleurs criardes, l’esthétique se veut fellinienne, ironique et satirique alors que la deuxième partie nous plonge dans le cauchemar nauséeux de la victoire et du dépit amoureux avec ses teintes sombres et morbides. Ana Maria Labin nous offre une Aminta somptueuse, voix spectrale et divine à la fois, celle d’une magicienne aux milles pouvoirs, capable de modulations vocales enivrantes comme le bon vin. Excellents aussi Luigi De Donato dans le rôle du roi Clistène, présence explosive et animale, et Christian Senn qui campe un extravagant Alcandro, désopilant et monstrueux, avec des lumières crépusculaires de Bruno Marsol et des maquillages expressionnistes de Cécile Kretschmar. A noter aussi l’extraordinaire démonstration acrobatique du contorsionniste Quentin Signori, suspendu dans le vide à une corde tournoyante. Il faut dire que dans la fosse, Jean-Christophe Spinozi sculpte son Vivaldi, qu’il connait parfaitement, dirigeant son Ensemble Matheus avec un enthousiasme et une effervescence passionnée et amoureuse. Une création merveilleuse qui remporta la palme parisienne des applaudissements lors de la première.
Hélène Kuttner
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