Lola Lafon ou l’éloge de la fragilité dans “Un état de nos vies” au Rond-Point
Elle est à 49 ans une écrivaine reconnue mondialement, auteur de sept romans dont le dernier, « Quand tu écouteras ma chanson » (Ed. Stock) l’a révélée au grand public de manière phénoménale. La musique, la chanson, la danse, Lola Lafon les pratique assidument, comme les mots qu’elle se décide à effeuiller, sur scène, face au musicien Olivier Lambert, avec une délicatesse infinie. Elle y parle du temps qui passe, du consentement, de l’amour et de la solitude, de la force et de la fragilité. Un moment fraternel d’une belle intimité.
La danse des mots
Avec ses tresses blondes et son chemisier sage, ses souliers plats et ses grands yeux doux, Lola Lafon ressemble à une écolière, ou une maîtresse d’école qui accepte de de soumettre à une interrogatoire lexical. Au bout de la longue table, est déjà assis Olivier Lambert, face à son ordinateur. C’est lui qui interroge, jette les mots qu’il lit sur de petits cartons, et que l’écrivaine musicienne prend au vol, le temps d’une respiration, pour les faire éclore. « Fragile », « chien », « peur », « gauche », « sororité » sont des prétextes, des miroirs sur lesquels elle imprime sa pensée, ses affects, ses réflexions du moment. Et elle le fait avec une douceur irrésistible, une simplicité d’adolescente directe et révoltée, avec une ironie parfois mordante, pour dire la difficulté d’être une femme puissante, la fatigue de la performance à tout va, l’aveuglement devant la fragilité des êtres, la peur qui nous gagne face au diktat de l’efficacité.
Dénommer le monde
La gauche ? Une “pop-up store schizophrène” en état de mort cérébrale qu’il faudrait achever. Derrière ces cris du coeur d’une idéaliste meurtrie, se cache aussi une jeune femme qui ose avouer sa volonté de séduire, et qui a traversé toutes les batailles, tous les combats pour exister. Elle évoque son viol à 24 ans, alors que le sujet n’existait pas encore. En face d’elle, le compagnon musicien l’écoute en la questionnant, et fait vibrer dans les espaces d’émotion des mélodies délicieusement veloutées. La lumière, la direction d’acteurs d’Emmanuel Noblet est particulièrement sensible et subtile, laissant le champ à l’écrivaine pour se lever, s’extraire de la table et de ses innombrables cahiers, s’emparant d’un journal intime comme pour conjurer une pudeur enfantine. A l’heure où les intelligences artificielles déferlent dans nos machines, laissons-nous porter par l’intelligence imaginative et personnelle de Lola Lafon qui partage avec nous, dans cet espace intime d’une représentation, son histoire et sa géographie lexicales pour dire notre monde.
Hélène Kuttner
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