“L’odeur de la guerre” : un coup de poing théâtral
Dans un one woman show magistralement interprété, la jeune comédienne Julie Duval interprète tous les personnages de sa propre histoire à la manière d’un Philippe Caubère, avec la même énergie et une capacité organique à se fondre dans plusieurs univers. Son spectacle est un long combat avec elle-même et avec les autres, qu’elle a achevé par une vraie victoire, avec des gants de boxe, et sur un plateau de théâtre. Le public applaudit debout.
En colère
C’est l’histoire d’une jeune fille en colère. Une gamine qui n’a pas eu les mots pour communiquer, au milieu de parents trop préoccupés d’eux-mêmes, entre un père maladroit et violent et une mère malheureuse, amoureuse de son petit chien. Nous sommes dans le Sud, à Fréjus, et Jeanne n’a aucune idée de son avenir. Le collège l’ennuie, ses copines l’envient ou la dénigrent, et il lui faut inventer sa vie. Julie Duval, le corps moulé dans un short et une brassière de sport, ne cesse de camper les uns et les autres, éclairée par les belles lumières de Nolwenn Annic. Son corps mobile, félin, est brûlant de révolte, agité par les non-dits, les refus et les silences moqueurs de ceux qui l’entourent. La comédienne se love dans chacun des personnage avec une agilité de chat, recomposant les rixes de filles, les dialogues familiaux, la violence qu’elle n’a pu maîtriser et qui s’est abattue sur une camarade. En même temps, les mots, les phrases courtes de ce voyage à travers soi sont ciselés, modelés à la perfection par la comédienne, auteur de son propre spectacle, et dont l’humour et l’ironie sont dévastateurs.
Boxe thaïlandaise
C’est par la boxe thaïlandaise, tout d’abord, que la jeune fille reprend confiance en elle, avant de s’épanouir, se libérer grâce au théâtre. C’est par le corps, ce corps tellement meurtri et maltraité, que la rebelle se reconstruit, grâce à son professeur de boxe, un méridional lui aussi, mais qui va prendre la place d’un père aimant et exigeant. Sur la scène, un punching ball multicolore accueille les coups de la comédienne qui pratique ce sport de manière régulière. Et son corps, d’une souplesse et d’une résistance impressionnantes, prend peu à peu de l’assurance, après des années de tension et de meurtrissures. Les mots des pièces de théâtre, les tirades de Victor Hugo dans Ruy Blas, que lui ont fait découvrir ses professeurs du cours Florent, l’ouvrent aussi à des mondes nouveaux où le langage fait corps, où les mots, la poésie, font advenir les personnages. Très subtilement mis en scène par Juliette Bayi et Elodie Menant, Julie Duval danse véritablement sa vie, composant une multitude de personnages qu’elle incarne avec une générosité sincère. On rit, on est ému et la fin, qui voit la comédienne boxer de tout son corps au fil d’une chorégraphie qui évolue avec des ralentis cinématographiques, est de toute beauté. On salue la performance, ce beau travail théâtral, et on applaudit cette métamorphose artistique et existentielle qui prend vie grâce à un plateau de théâtre à la Scala.
Hélène Kuttner
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