“L’Intruse” et “Les Aveugles” au Vieux-Colombier : une bouleversante traversée entre vie et mort
©Christophe Raynaud de LageColl.CF25
Le metteur en scène Tommy Milliot, directeur du Nouveau Théâtre de Besançon, monte deux pièces de jeunesse de Maurice Maeterlinck, écrites en 1890. Dans une scénographie chaude et des lumières picturales, les acteurs de la Comédie Française parviennent à rendre ces dialogues si simples totalement bouleversants et l’art théâtral, avec le silence, s’en trouve magnifié.
Mystères

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Quelle belle idée que de lier ces deux pièces de jeunesse du Belge Maeterlinck (1862-1949), L’Intruse et Les Aveugles, dans un spectacle à l’esthétique mystérieuse et à la précision diabolique ! L’auteur poète, ami de Mallarmé, initiateur d’un théâtre de l’intime au symbolisme métaphysique, adepte d’une dramaturgie statique, avait déjà dans La Princesse Maleine offert au langage et à l’imaginaire une force tellurique. La mort, la tempête, l’enfermement figuraient déjà comme les thèmes majeurs de cette oeuvre, comme dans un conte enfantin mais cruel. La première pièce, L’Intruse, nous plonge dans l’atmosphère confinée d’une salle d’un vieux château, au bord d’un fleuve. Sont réunis autour d’une table en bois le grand-père, aveugle, mais qui sent et pressent tout, en rapport direct avec l’au-delà ; sa petite fille, son père et son oncle, tous saisis par l’attente anxieuse de nouvelles de la mère, qui vient tout juste d’accoucher difficilement. « On entendrait marcher un ange » dit l’un d’eux, alors que l’horloge sonne pesamment, présage inquiétant, et que le vent, violent et pluvieux, souffle à travers une fenêtre ouverte. Dans Les Aveugles, douze aveugles, comme les douze apôtres de la Bible, attendent le retour de l’aumônier, le seul voyant, qui les a conduit au milieu d’une forêt ancestrale. Où sont-ils ? Quelle heure est-il ? Sans se toucher, ils se parlent et leurs paroles précieuses sont suspendues à la quête d’une seule chose : la survie. Hélas, la mort est là qui rampe et rôde, envahissant l’espace vital.
Incarnation

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Dans un décor étouffant et chaleureux à la fois, de grands murs ocres, éclairés d’une lumière changeante comme la lumière de la mer, enveloppent les personnages des deux pièces. Tommy Milliot parfait sa scénographie tel un peintre avec Nicolas Marie et ses éclairages ombrés qui sculptent les visages et les costumes drapés de Benjamin Moreau. On entend au loin le grincement, le frémissement du vent ou le cliquetis des mâts des navires, grâce à la formidable création sonore de Vanessa Court, qui invite la nature, le mystère et l’angoisse dans les deux pièces. Bakary Sangaré, merveilleux Aïeul aveugle, prête sa présence de vieux sorcier à ce personnage hors normes, sursautant à chaque bruit, si théâtral qu’il en devient envoûtant. Sa voix caverneuse est l’instrument parfait de ce théâtre qui demande aux acteurs une sobriété habitée, un engagement sincère et profond. Gilles David, Claïna Clavaron, Dominique Parent, Alexandre Pavloff, sont fabuleux d’intensité et de tension secrète. Charlotte Clamens, Thierry Godard, Blanche Sottou et Aristeo Tordesillas les rejoignent dans Les Aveugles, formant une humanité perdue mais qui se raccroche à chaque mot, à chaque bruissement, à chaque soupir.
Le privilège du spectateur

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Car dans ce théâtre du presque rien, mais où chaque parole compte pour de l’or, « il faut voir pour aimer » dit Maeterlinck et Tommy Milliot s’attache avec chacun des comédiens à rendre son attitude et son texte le plus concret possible. La lumière chaude qui enveloppe chacun, justement, est là pour traquer le sensible, le besoin de se toucher, de comprendre, d’envisager aussi le souffle de l’air et la piqure des épines qui blessent les pieds et les mains des aveugles. Chacun des personnages de ces deux courtes pièces, dans une lumière d’automne, cherche à trouver des réponses à ses questions, jusqu’à ce que l’intrusion pesante de la mort les saisisse. Et c’est à nous, spectateurs, de recevoir ce que chacun d’eux nous offre par sa souffrance et sa quête dans ce passage tragique qu’est une vie. La parole théâtrale, celle qui nous raconte des histoires, est comme la flamme qui nous maintient en vie. Et ce spectacle le montre superbement.
Helène Kuttner
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