L’icône Pina Bausch : le chic et le Tanztheatre !
Vêtue d’une longue nuisette une femme aveugle danse, se colle douloureusement aux murs, et puis s’effondre tandis qu’une autre étreint son partenaire, avant de s’écrouler à son tour… On pense à Café Müller, à cette pièce emblématique datée de 1978 et tant de fois interprétée par la chorégraphe, jusque dans le Parle avec elle d’Almodovar. Ce qu’il faut saisir, au-delà de l’impression forte suscitée par la découverte d’une création dont la fulgurance est à l’image de toute l’œuvre de Pina Bausch, c’est que l’art de cette dernière a grandi dans les interstices des rapports quotidiens liant les hommes entre eux.
Pour comprendre, il faut sans doute se représenter Phillippina petite fille, écoutant sous les tables de bistrot de l’hôtel de ses parents, car elle s’est nourrie de ces échanges volés, de ces mots durs et tendres, de ces rires et larmes de grandes personnes qui ont bercé son enfance. A l’école de l’expressionniste Kurt Joos, elle se déploie dans une formation pluridisciplinaire (danse, théâtre, musique) et avance déjà dans une quête de vérité toute focalisée sur le rapport de l’être à l’autre. Jusqu’au bout, ses créations retentissent comme des mises en scènes du rapport à l’autre, et dans le couple en particulier. Elle n’hésite pas à dévoiler des rapports extrêmes, à la fois cruels et harmonieux, et à secouer parfois ses publics au moyen de mouvements non dénués de violence. Depuis les années 90, ses chorégraphies semblent avoir reçues une sacrée dose d’adoucissant, et agissent davantage en délicatesse. Certains lui ont reproché cette inattendue préférence pour la peinture de l’amour pur mais ce changement ne doit pas être perçu comme un relâchement. Au contraire, il intervient à point dans son cheminement chorégraphique, et témoigne du caractère philanthropique de l’artiste. A l’heure où le public pour lequel elle crée est bombardé d’images dures, elle opte pour l’expression de l’apaisement, d’un apaisement qu’elle nous offre en beauté et en en partage.
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Cette chorégraphe de l’intime a développé une gestuelle bien à elle, dite bauschienne. Pina Bausch qui n’aime pas ses pieds ne se juge pas réellement à même d’interpréter à la perfection, et c’est sans doute ce qui explique son déploiement dans l’art de chorégraphier plus encore que dans l’art de danser. C’est encore ce qui justifie une gestuelle qui prend les mains puis les bras comme source originelle du mouvement. Tout avec cette grande là part donc des mains pour se prolonger dans les bras, avant de nous embarquer avec fougue dans une corporalité torturée, hésitant toujours, entre danse et théâtralité. Sa gestuelle est complètement indissociable d’un chic et d’un glamour incarné par les robes longues aux profonds décolletés qui habillent ses danseuses. Le résultat est toujours grisant, et devant une de ses création on s’éprouve à la perception d’un cabaret singulier, où les danseurs paraissent emplis d’une ivresse implosive d’apparaître contenue dans un chic signé Pina.
Sa gestuelle, qui partant du bout des ongles entraîne la totalité du corps en fluidité, a quelque chose qui relève de la théâtralité. Il faut l’appréhender à la lumière d’une rupture volontaire avec les formes d’une danse encore conventionnelle. La danse pour elle, prend moins sa source dans un désir de rendre une forme que dans une volonté de faire avec les limites et les inspirations du corps de chacun de ses danseurs. L’esthétique de Pina Bausch est donc aux prises avec la parole et la fluidité du geste, s’emparant d’un nouveau concept aujourd’hui connu sous le nom de Tanztheatre ou Danse-Théâtre. Enfin, comme Cunningham et Béjart, Pina Baush s’est élevée en pédagogie en prenant dès 1974, la direction du Wuppertal répondant depuis lors et jusqu’à aujourd’hui à l’appellation Tanztheatre Pina Bausch. Depuis l’intervention de l’Ecole Pina dans l’Histoire de la danse, il faut reconnaître qu’il n’a rien d’hasardeux à ce que le théâtre se soit introduit dans un nombre presque majoritaire de chorégraphies.
Difficile de dire au revoir à une Pina Bausch qui a profondément marqué l’histoire de l’évolution de la danse contemporaine dans la seconde moitié du vingtième siècle. Mais on est tenté de se consoler et de porter un deuil coloré en se disant que si la femme s’en est allée, la chorégraphe restera dans les mémoires et vivra dans l’héritage de ses créations et de nouvelles créations aussi, là où la danse se mêlera encore au théâtre ou le théâtre à la danse, là où les mains encore. Merci, Pina Bausch, au nom de la danse, merci !
Christine Sanchez
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