Lia Rodrigues : Le Brésil en état d’alerte
Les spectacles de Lia Rodrigues possèdent la poésie de l’urgence. La Brésilienne crée des fresques à couper le souffle, autant par leur beauté que parce qu’elles ne cachent rien des épreuves qui secouent ce pays paradoxal. Le Festival d’Automne présente « Fúria », où les interprètes, jeunes et lumineux, poussent leur art à l’extrême.
Fureur? Quelle fureur? Lia Rodrigues porte en elle, et sur les lèvres, un sourire quasiment permanent. Pourtant, ses spectacles sont hautement dramatiques. Elle vient d’impressionner, chaque fois de nouveau, avec une série de trois créations consacrées à l’histoire du Brésil et la situation de la population des favelas ou des amérindiens. Des fresques vivantes et mobiles, où le public assis ou debout, stationnaire ou en mouvement, partageait le même espace que les danseurs.
Avec « Fúria », deux choses basculent. Premièrement, le spectateur sera ici assis face au plateau, au lieu d’être intégré. Physiquement, c’est un recul par rapport aux danseurs. Mais on peut supposer – le spectacle étant créé à Chaillot-Théâtre National de la Danse, où Rodrigues est artiste associée – que ce choix nous prépare à des images qui risquent de nous tourmenter d’autant plus.
Deuxio, le Brésil vient de basculer politiquement, suite à l’élection du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro, sorte de cocktail tropical et trumpiste de Jean-Marie Le Pen et Eric Zemmour. Donc, en effet, au Brésil la fureur monte et la militarisation est en marche. Spécialement visées : Les favelas. C’est justement là, dans la favela du Maré, à Rio, que Lia Rodrigues a créé son école de danse contemporaine, dont sont issus quatre des neuf interprètes de « Fúria ».
« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », est une phrase qu’on attribue à Pina Bausch. Elle est pourtant cent fois plus vraie dans le cas des jeunes Brésiliens, de toutes les couleurs de peau, qui vivent dans la danse le rêve d’un avenir meilleur que les violences et les drames qu’ils racontent sur scène. Mais « Fúria » ne sera pas un commentaire directement politique. Au contraire. Là où les Trump ou Bolsonaro disent « nous d’abord! », Rodrigues passe toujours par un « la poésie d’abord ».
Aussi sollicite-t-elle les œuvres de nombreux écrivains – brésiliens bien sûr mais aussi Aimé Césaire – pour faire valoir le droit à l’utopie. Il faut bien sûr s’attendre à voir dans cette création moult image dérangeante qui ne nous laissera pas indemne. Les corps et les visages évoquent des états extrêmes. Mais Rodrigues saura toujours mêler à la cruauté inévitable une énergie vitale qui tire vers le haut. Par ailleurs, la Brésilienne pourrait très bien s’arroger la devise de Michelle Obama : « When they go low, we go high! »
D’une manière très emblématique de cette volonté à viser « l’élévation en osant affronter un gouffre, la troupe utilisera comme accessoires tout simplement des objets – il faudrait dire : des débris, de plastique ou de bois, par exemple – ramassés autour de leur école. Symboliquement, ces objets deviendront des lieux poétiques, réenchantés par la beauté humaine d’une troupe qui n’a pas son égal dans le monde. Après les représentations à Chaillot, « Fúria » fera une halte supplémentaire au CENTQUATRE-PARIS, laissant à peine aux interprètes le temps de souffler entre les deux séries de représentations.
Thomas Hahn
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