Lia Rodrigues et ses danses de toutes les couleurs
De Gennevilliers à Chaillot, la Brésilienne déploie trois spectacles qui montrent toutes les facettes de son œuvre et de sa personnalité, du plus engagé au plus enjoué. Rodrigues est une artiste qui milite, par des créations envolées et hautes en couleurs, contre le racisme et les injustices et pour la défense de la forêt amazonienne.
Elle vient de fêter les trente ans de sa compagnie. Mais l’élection de Bolsonaro lui a plutôt donné envie de gerber. Heureusement, même un tournant politique aussi vulgaire et agressif ne peut lui enlever son sourire. Pour sa danse, c’est pareil. Ancienne interprète de Maguy Marin, et notamment de May B, ce tube mondial et increvable de la danse contemporaine, Rodrigues crée des spectacles qui sont le reflet des violences de ce monde. Mais leur énergie reste festive.
Furia, la fête malgré tout
Quel meilleur exemple que Furia, présenté au T2G de Gennevilliers les 14 et 15 mars, avec sa peuplade grotesque, diabolique, déchue et surtout démunie ? Ils vivent entre leurs sacs de couchage et des bâches, comme dans une favela ou comme des migrants. Ils tournent en boucle, jusqu’à ce que beauté et terreur fusionnent en mode hardcore et expressionniste, sans jamais occulter un ardent désir de sensualité. On a presque l’impression de voir un défilé carnavalesque. Revue par Francis Bacon, peut-être, et par Botero, et Géricault, etc…
Le secret de Lia est là, il vient de son for intérieur, de sa flamme humaniste qui résiste à tout et lui donne la force de continuer sur sa route. En trente ans de création, elle a fondé une école de danse dans la favela de Rio et révolutionné la danse contemporaine de son pays. Et depuis ce temps, ou presque, elle étonne la France avec ses créations. On peut en voir deux au Théâtre National de la Danse, à Chaillot, juste après Furia à Gennevilliers. Furia a par ailleurs été créé à Chaillot, dans le cadre du Festival d’Automne. Et Lia est à ce jour artiste associée à Chaillot même.
Si on commence à suivre son parcours parisien actuel avec Furia, il faudra poursuivre avec Nororoca et terminer sur Contre ceux qui ont le goût difficile, son interprétation chorégraphique de la fable éponyme de La Fontaine, une pièce créée en 2005. Un tel compte à rebours peut témoigner d’une certaine évolution du monde, vue par une artiste d’exception. Nororoca est une nouvelle version de Pororoca, un bouillonnement humain et vestimentaire, un éclat de couleurs, une transposition des sensations déclenchées par le bruit et les vagues qui se produisent là où les eaux du fleuve Amazone se jettent dans l’océan. Ce phénomène est décrit, dans la langue des Amérindiens Tupi par l’onomatopée de « poroc-poroc ».
Nororoca, échos du fleuve Amazone
Quand Lia Rodrigues crée Pororoca en 2009, elle commence à s’intéresser à la culture des Amérindiens vivant dans la forêt amazonienne. Elle leur rend hommage par un spectacle à l’énergie pure et encore sereine, qui est au fond un hommage à la rencontre et au mélange, métaphore de la société brésilienne. Plus tard, elle créera des spectacles bien plus dramatiques sur le thème de la relation entre la société brésilienne et les peuples amazoniens.
Nororoca est une nouvelle expérience dans le sens du mélange des personnes et des origines. Car Rodigues a transmis Pororoca à Carte Blanche, la compagnie de danse contemporaine nationale de Norvège. Les danseurs, un ensemble très international dirigé par la chorégraphe française Annabelle Bonnéry, ont même pu répéter à Rio, dans l’école de danse fondée par Rodrigues et s’imbiber de l’ambiance brésilienne. Ils sont à Chaillot du 18 au 21 mars, quasiment en même temps que les deux danseuses brésiliennes qui interprètent à Chaillot Contre ceux qui ont le goût difficile, quasiment en même temps (du 17 au 21 mars).
Cette fable de Jean de La Fontaine, plutôt une introduction à son deuxième livre de fables, est un pamphlet un brin rebelle, un appel à la sincérité intellectuelle et à ne pas mépriser un genre artistique qui semble s’adresser aux petits. Logiquement, le duo de danse que Rodrigues lui consacre est d’une espièglerie absolue. Elle confie aujourd’hui le duo à deux danseuses brésiliennes et le place en introduction à deux autres fables de La Fontaine, chorégraphiées par Béatrice Massin (esprit d’époque car Massin est une spécialiste de la danse baroque) et Dominique Hervieu, ici parfaitement dans l’esprit loufoque de ses créations danse-vidéo avec José Montalvo.
Thomas Hahn
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