Lettres à Nour au Théâtre Antoine, échange radical
Eric Cantona, l’ex-star du ballon, revient sur scène pour incarner un père désespéré. Sa fille a rejoint un djihadiste en Irak et épouse malgré elle les méthodes de Daesch. Dernier lien entre le père et sa fille, les lettres qu’ils s’envoient disent l’amour filial par-delà la tragédie sur laquelle la jeune femme finira par ouvrir les yeux.
Cet échange épistolaire est tiré du roman du marocain Rachid Benzine. L’action commence en 2014, lorsque la jeune fille arrive à Falloujah. Elle écrit à son père en étant convaincue de servir les valeurs que celui-ci, veuf, lui a inculqué à travers une éducation attentive et aimante, forgée autour de la religion de l’Islam en son interprétation de tolérance et de respect. Mais d’entrée de jeu, le père comprend l’erreur tragique de sa fille unique et patiemment il tente, de lettre en lettre, de l’éclairer, ce qui n’empêche pas que l’un et l’autre s’éloignent en dépit d’un attachement profond. L’une, sous l’influence terrifiante de son mari, est aveugle et s’enfonce dans la pire horreur sans en déceler les prémices. Le père assiste à cet enfoncement terrifiant en étant le plus possible explicatif, toujours protecteur et rédigeant ses lettres de manière à ne pas perdre ce dernier et unique fil qui les relient, le courrier.
Les spectateurs suivent ainsi l’évolution des deux personnages, l’un vers le désespoir lucide, l’autre vers la destruction aveugle. Le père, professeur en université, transmet une générosité qu’Eric Cantona endosse pleinement. Il chemine avec son personnage, en l’entourant de cette impuissance paternelle qui émeut. En face de lui, la jeune fille est interprétée par Nacima Betkhtaoui. Gracile et volontaire, elle fait passer l’avancée dans le fanatisme avec une effroyable sincérité qui se trompe dramatiquement de voie. Opposés en leurs physiques, ces deux personnages parviennent à établir un lien qui évolue sous les yeux du public, amené à suivre avec réalisme cet enchaînement que des faits divers ont malheureusement tant de fois relayé.
Dépourvu de théâtralité, le dispositif tient uniquement en une longue table rectangulaire où les deux protagonistes, assis, se font face. Ils lisent respectivement les lettres qui leur parviennent et seules leurs expressions du visage et trémolos vocaux traduisent la tragédie qui se joue. Finalement c’est une intention nettement pédagogique qui se dégage, d’une utilité qu’on ne peut contester. Propice à être compris par des jeunes interpellés par ces dramatiques questions, cet échange, dépourvu de propos analytique, peut donner lieu à des débats dans des lycées ou autres lieux. Eric Cantona et la délicate interprète de sa fille sont empreints d’une sincère volonté d’apporter un garde-fou aux dérives extrémistes qui peuvent toucher, contre toute attente, des familles à priori peu concernées.
Emilie Darlier-Bournat
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