Les Trois sœurs : à la recherche de Tchékhov
Nouvelle star du théâtre mondial, ovationné au Festival d’Avignon pour « Ibsen Huis », l’Australien Simon Stone, 33 ans, artiste associé au Théâtre de l’Odéon, s’attaque à l’une des pièces maîtresses de Tchékhov avec une dizaine de comédiens survoltés. Une adaptation totalement libre et actualisée, d’une folle énergie, qui fait presque oublier la pièce d’origine.
Entre Berlin et New-York
Il ne faut surtout pas chercher Moscou, la douce utopie des Trois Soeurs de Tchékhov, dans le spectacle de Simon Stone. De plain-pied dans le XXI° siècle, les jeunes gens qui débarquent, les bras chargés de sacs Carrefour, dans l’immense maison aux baies vitrées plantée sur le plateau -pratiquement la même maison que celle d’ « Ibsen Huis »- sont ceux d’aujourd’hui. Il y a Olga, la plus âgée des soeurs (Amira Casar), protectrice et maternelle, qui passe son temps au ménage et au rangement des sacs, Irina (Eloïse Mignon) une adolescente en mutation et en ébullition sexuelle, et Macha (Céline Sallette), sombre et grave, qui va s’enflammer pour Alex, beau mec ténébreux mais fatigué, car marié à une dépressive dont il a deux enfants. On s’installe, on mange, on fume, on boit, on fait l’amour dans cette maison qui ressemble à un loft devant laquelle nous, spectateurs, sommes comme des voyeurs d’une réalité en train de se vivre.
Maison qui tourne
D’ailleurs, la maison à l’architecture nordique tourne constamment au fil de la représentation, effet de vertige, de tourbillon qui entraîne les personnages dans un flot d’actions et de paroles. Sous la douche, dans un lit, aux toilettes, sur la terrasse, Andrei, le frère raté et drogué, joué par Eric Caravaca avec un engagement absolu et déchirant, ne cesse de sombrer et de se déprécier, face à une femme qui le dépouille et le trompe (Servane Ducorps). Quand à Roman, le vieux médecin (Frédéric Pierrot), il erre à moitié dévêtu parmi cette jeunesse et sombre lui aussi dans la détestation de lui-même et la came. Dehors, Trump vient de se faire élire, on parle des meilleurs séries TV à voir et Herbert, le serviteur, raconte ses virées nocturnes dans le milieu homo avec force détails physiologiques. De quoi parle-t on encore ? D’Instagram et des réseaux sociaux, des réfugiés de Syrie, d’Ecstasy et des désirs de suicide et d’autodestruction.
La mitrailleuse du réel
Les comédiens évoluant dans un univers clos, ils sont tous sonorisés, et on a peine parfois à savoir qui parle. Il faut dire que les paroles fusent à la vitesse d’une mitraillette, un signe des temps, ce qui provoque une confusion de mots et d’idées, un brouhaha de signes où l’anecdotique côtoie le trivial, le cliché l’intime. Céline Sallette parvient à nous émouvoir, sa Macha est profonde et sensuelle, passionnée. Mais dans l’ensemble, l’énergie déployée par les comédiens, avec plus ou moins de bonheur, finit par tourner à vide. On perd Tchékhov, mais surtout on a du mal à trouver du sens dans ce que l’on voit, à moins de se complaire dans un naufrage d’égos qui cherchent à survivre en se cognant les uns aux autres comme des moustiques s’écrasant contre la vitre. Est-ce un miroir tendu à nous mêmes ? Qui nous observons à travers ces barreaux dorés de l’Odéon ? A vous de juger.
Hélène Kuttner
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