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“Les Sœurs Hilton” : bêtes de scène inséparables

Hélène Kuttner 24 octobre 2024
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© Fabrice Robin

Pour leur dernière création, Valérie Lesort et Christian Hecq s’attaquent à deux sœurs siamoises, Daisy et Violet Hilton nées au début du 20° siècle, et qui furent jetées sur le devant de la scène des music-halls de Broadway en multipliant les shows de danse et de chant. Le spectacle déploie le film burlesque de leurs vies en musique, au milieu de monstres sympathiques et de numéros clownesques réalisés par le génial Christian Hecq, dans une très scénographie très efficace.

Un spectacle autour du handicap

Dans Freaks, la parade des monstres signée du réalisateur Tod Browning sorti en 1932, Daisy et Violet apparaissaient au milieu de nains, d’hommes tronc et de femmes à barbe, monstres humains qui finirent dans le film par se révolter contre la manière dont ils étaient exploités. Monstrueuses, ces deux charmantes jeunes filles, qui pratiquaient la danse et le chant au prix de dures années de travail, n’en étaient pas moins présentées comme des poupées, vêtues de robes précieuses aux couleurs de pastels et de rubans dans les cheveux. C’est en 1908, à Brighton en Angleterre, que ces deux siamoises, rattachées par le bas de la colonne vertébrale, naissent. La sage-femme qui les accouche prend pitié de leur mère, une serveuse de bar, et comprend vite l’avantage financier que lui procurera l’élevage et l’éducation artistique de ces jumelles. Dès l’âge de trois ans, elles seront totalement coupées du monde, sauf pour être exhibées dans des salles de cabaret et de cirque en Amérique, en Allemagne et en Australie. C’est que Mary Hilton, la sage-femme devenue leur tante, les mène à la baguette pour obtenir des profits juteux. Et quand enfin, dans les années 1930, elles parviendront à se libérer des personnes qui les exploitent de manière scandaleuse, le cinéma devient parlant et leur carrière va décliner progressivement jusqu’à la misère et l’oubli final, en 1969.

L’univers du cirque

© Fabrice Robin

On ne présente plus la virtuosité artistique et l’inventivité scénique de Valérie Lesort et de son complice Christian Hecq, sociétaire à la Comédie Française. Depuis 2016 et leur fabuleuse création Vingt mille lieues sous les mers, ils enchaînent régulièrement succès sur succès au fil d’un travail et de recherches impressionnantes. Le Domino noir est monté pour l’Opéra-Comique, ainsi que d’autres œuvres musicales, puis La Mouche aux Bouffes du Nord et Le Bourgeois Gentilhomme à la Comédie Francaise qui ne récolte pas moins de trois Molière ! C’est dire que l’on attendait beaucoup de cette nouvelle création avec un sujet pour le moins dérangeant. « Le monstre nous fascine, nous effraie, nous touche, nous dégoûte, nous fait rire puis nous rend honteux d’avoir ri. » écrit Christian Hecq dans le programme. Certes, tous les êtres en marge, différents, nous font peur et nous fascinent en même temps. C’est la raison pour laquelle le duo d’artistes plante son décor sur la piste ronde, en étoile rouge, d’un cirque ambulant. Un castelet de la même couleur s’ouvre sur d’autres lieux, un café, une maison, le wagon d’un train. Au dessus de ce théâtre enfantin, un œil de cyclope nous observe et ponctue chaque épisode de la vie des siamoises, tandis que le musicien Renaud Crols emballe son piano et ses percussions dans un swing effréné de piano bar survolté.

Revue burlesque

© Fabrice Robin

De la naissance à la signature d’adoption, des premières représentations dansées aux premiers flirts, tous les épisodes de vie des soeurs Hilton sont traitées sur le plateau avec des intermèdes assurés par un clown magistral, Christian Hecq. C’est d’ailleurs lui qui campe la tante dominatrice, boudinée dans une robe à la Bécassine, alors que Valérie Lesort, auteur du texte, et Céline Milliat-Baumgartner jouent les frangines, même silhouette de danseuse et robe abricot similaire, collées l’un à l’autre comme les deux faces d’une même pièce, après que le chien Charlie ait annoncé les précautions d’usage pour les téléphones portables, museau face micro, comme le fox-terrier de la Voix de son maitre écoutant le phonographe à cylindre Edison Bell. Le prologue du spectacle est saisissant de drôlerie et le ton est donné. Christian Hecq campe tous les personnages des intermèdes, tandis que Yann Frish interprète le célèbre prestidigitateur Houdini. 

Un cirque écarlate

© Fabrice Robin

Les costumes décalés, la gestuelle démoniaque, les jeux de scènes débordant d’énergie déclenchent les rires du public car tout est permis. L’enfance se conjugue avec la provocation, la grossièreté avec la poésie. Mais au bout d’un moment l’extravagance des jeux de scène s’épuise, peut être parce qu’il faut meubler les intermèdes, ou que le texte reste trop pauvre. Le savoir-faire, l’inventivité et la prise de risque de Christian Hecq, son brio clownesque et son sens de la composition tendent à devenir la matière même du spectacle. Alors que l’on souhaiterait être dérangé par l’étrangeté des personnages, leur malaise et leur ambivalence. Certaines scènes sont très réussies, notamment celles qui nous montrent la difficulté des soeurs à se dissocier, dans leurs histoires de cœur. Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner forment une paire de sœurs épatantes, gracieuses et spirituelles à souhait. L’émotion qui se dégage de leur parcours de vie nous touche, d’autant qu’elles sont mortes isolées dans le dénuement. Mais leur souvenir est vite tombé dans l’oubli dans ce vingtième siècle gagné par la vitesse et la performance. En les évoquant, ce spectacle leur rend un hommage mérité.

Hélène Kuttner 

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