“Les Producteurs” ou comment un flop devient un triomphe
En s’inspirant du premier film de Mel Brooks et de son adaptation scénique en comédie musicale à Broadway en 2001, qui remporta 12 Tony Awards et joua à guichets fermés durant six ans, Alexis Michalik et ses producteurs proposent leur version française qui risque fort…. de rester longtemps à l’affiche. Renversant !
Des fleurs pour Hitler
Quand un producteur en faillite, Max Bialystock, joué par le formidable Serge Postigo, rencontre fortuitement son comparse d’infortune Léopold Bloom, un comptable névrosé et hystérique qui porte son doudou en bandoulière, magnifique Benoit Cauden, la folie du premier se lie avec la malice du second et les voilà tous deux, Laurel et Hardy du show-business, à la poursuite du pire flop de Broadway. En effet, pour mieux parer à la déconfiture financière, Bloom imagine une fraude aux assurances qui leur permettrait de prendre la poudre d’escampette avec les indemnités du manque à gagner. Rio ou Miami, au choix ! Reste pour l’instant à draguer les vieilles mamies juives de New-York, une habitude de Max, pour se renflouer financièrement les poches et se lancer dans la magouille. La pire des pièces, les pires acteurs pour le flop annoncé, qui va pourtant se révéler le plus beau succès de Broadway.
Un casting de nazis
Entre Le Dictateur de Chaplin et les Monthy Python, le scénario de Mel Brooks plonge dans l’humour le plus noir et les gags les plus burlesques. En jouant ainsi avec les codes de l’horreur et de la tragédie historique, Bialystok le producteur désespéré tombe sur Franz Liebkind, un ancien nazi nostalgique, auteur d’une tendre comédie intitulée Des fleurs pour Hitler ou Adolf et Eva dans un gai vaudeville à Berchtesgaden. Régis Vallée, gaillard athlétique en culotte de peau tyrolienne et Pataugas, est inénarrable dans le rôle de Franz. Reste à trouver un metteur en scène et des acteurs pour cette loufoquerie grand-guignolesque et c’est Roger De Bris, grande folle allumée épaulée par son mignon Carmen, déboulant de leur Palazzo dégoulinant de fioritures, qui s’empressent d’accepter ce projet délirant. David Eguren (De Bris) et Andy Cocq (Carmen) sont éblouissants de folie, avec une mention spéciale pour le second qui dès son apparition saisit le public avec ses hilarantes et perverses contorsions de chat. Puis surgit Ulla, une plantureuse Suédoise prête à tout pour se faire remarquer, fondant sur Bloom qui en oublie son doudou, transperçant Max qui l’intègre à l’équipe, et provoquant chez tous un cataclysme de désirs torrides. Roxane Le Texier prête à ce personnage de Marylin caricaturale son corps de danseuse et son charme piquant de comédienne.
Claquettes et musiciens
La réussite de cette production rêvée par Alexis Michalik tient dans cette alliance entre la comédie et le burlesque, la musique, le chant et la danse, tant prisée par les Anglo-Saxons. C’est un formidable show musical qu’il nous offre ici, tant l’énergie, la vigueur, le rythme, le talent, la fantaisie participent au spectacle. Sous la direction éclairée de Thierry Boulanger, au piano et dans les loges, six musiciens chevronnés jouent en direct la partition écrite par Mel Brooks et une dizaine d’artistes polyvalents, chanteurs acteurs et danseurs, se métamorphosent en une trentaine de personnages sans aucun temps mort, avec un tempo frénétique mais aussi une tendre humanité, selon la fameuse exigence appliquée maintenant à toutes les créations d’Alexis Michalik, déjà récompensé par trois Molière pour Edmond. On passe du premier au treizième degré, de To be or not to be de Lubitsh à l’humour totalement décalé et juif new-yorkais des premiers films de Woody Allen. Le pari est réussi, sans fausse note, et les artistes heureux de jouer y sont pour beaucoup. Ils nous font du bien.
Hélène Kuttner
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