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“Les Précieuses Ridicules” version 2.0

©Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, avec la troupe de la Comédie-Française, s’attaquent à l’une des plus célèbres comédies de Molière pour en faire vibrer le ridicule d’une situation très contemporaine. Les deux cousines qui s’inventent un monde avec leur petit marquis pourraient bien faire penser à de jeunes naïfs d’aujourd’hui. Un spectacle musical, décalé, et fort drôle.

“Les gens de qualité savent tout sans avoir rien appris”

Mascarille, le petit marquis ridicule de présomption qui cherche à séduire  ses admiratrices par un madrigal d’une platitude achevée, lancera cette réplique qui résume tout le propos critique de la première vraie comédie de Molière. Pour se hisser au plus haut de l’échelle de la notoriété, il n’est pas nécessaire de maîtriser son sujet ou de posséder une grande science. Il faut imiter, singer, se montrer, parader sans avoir jamais conscience du ridicule. Le monde que l’on vise est un artifice, une chimère, mais qu’importe tant qu’on y reste et qu’on en jouit. Les Précieuses ridicules de cette nouvelle et production sont deux jeunes femmes d’aujourd’hui dans un petit appartement à l’esthétique kitsch, où les tapis se chevauchent, où les piles de livres se dressent en désordre au milieu des jus de carotte alors que leur père et oncle, car elles sont issues de la bourgeoisie de province, leur donne des ordres par téléphone. 

Paillettes et art contemporain

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

Les deux cousines se piquent d’art contemporain en plongeant leur visages dans de la peinture pour en faire des oeuvres, professent une liberté de vie que ne vont pas entraver ni les parents, ni les hommes, dont elles refusent de facto le mariage. La Carte du tendre sert de fond à un panier de basket suspendu au mur pour les galants qui osent se confronter à leurs exigences. Séphora Pondi, nouvelle pensionnaire, campe une Magdelon imposante et entreprenante, moulée dans une tenue disco qui scintille, tandis que sa cousine Cathos qu’interprète Claire de La Rüe du Can semble plus discrète, fragile et influençable dans sa jupe à fleurs et à panier. Dans cet univers où le juge suprême est un « conseiller des grâces » (le miroir) et dont l’armoire regorge de travestissements, débarque un drôle de messager, un Marquis du nom de Mascarille envoyé par deux jeunes prétendants nobles éconduits qui souhaitent se venger. Jérémy Lopez brille dans ce personnage doublement falsifié. En effet, les deux metteurs en scène, Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, qui jouent du trombone, de la guitare et des claviers sur le plateau tout en campant La Grange et Du Croisy, ont fait de Mascarille un ouvrier fantaisiste et hâbleur qui rénove l’appartement des belles et que les deux prétendants ont déguisé en marquis.

Mascarade

© Vincent Pontet, coll. Comédie-Française

Chaque personnage est de fait le dupe de l’autre, comme chez Marivaux, et tous naviguent dans un océan d’apparences et de faux-semblants. Mascarille/Jérémy Lopez, en short et bonnet phrygien rouge -symbole de l’esclave affranchi -en guise de perruque fait un show hallucinant d’inventivité et de cocasserie, étirant son madrigal à la manière d’un jeu surréaliste, abusant des jeux de mots et des variations, tournant la langue et les idées dans tous les sens alors que tel un gymnaste il se cabre dans des positions animales, soutenu musicalement par la guitare et le clavier électronique et la batterie de Lola Frichet ou Edith Seguier, qui jouent en alternance Marotte. Les deux acteurs metteurs en scène étant musiciens, utilisent le texte comme un canevas sur lequel les personnages viennent broder leur partition, usant de quelques libertés avec Molière. Noam Morgensztern campe Jodelet, complice affabulateur de Mascarille en frère d’armes, et si l’on peut regretter la faiblesse de vision que les metteurs en scène ont porté au personnage de Cathos par rapport à celui de Magdelon, il faut avouer que cette vision explosive de la préciosité comme désir de popularité et de visibilité dans la société porté par le talent des comédiens est réjouissant. La préciosité au XVII° siècle s’apparentait plutôt à du snobisme et aussi à une revendication féminine d’enrichir la langue, mais le théâtre ici s’adapte à notre époque avec saveur et humour.

Hélène Kuttner

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