Les perles du théâtre privé
C’est la grande rentrée des théâtres et les privés parisiens ne sont pas en reste. Pour vous guider dans vos choix, nous avons sélectionné quelques uns des meilleurs spectacles a découvrir cet automne. Et ce n’est qu’un début de notre sélection, à suivre donc !
Inavouable, Comédie des Champs Elysées
Quel bonheur de revoir sur scène cette bête de scène qu’est Michel Leeb ! Dans une des dernières comédies conjugales d’Eric Assous, disparu trop jeune il y a tout juste un an, l’acteur caméléon excelle dans un rôle de papi roublard et râleur, qui ment comme il respire sur ses anciennes frasques alors que son épouse, excellemment campée par Florence Pernel, lui arrache un à un les vers du nez. Comme d’habitude chez l’auteur, une situation des plus placides, un couple de retraités en train de garder leur petit fils, va virer au drame homérique en raison du croisement de leur histoire avec celle de de leur fiston. Arthur Fenwick, qui joue le fils, attend simplement que sa jeune épouse rentre de Capri, où elle doit mettre fin à une amourette avec un maçon. Quand lui-même avoue ensuite des incartades sentimentales non sans un certain flegme. Personnages bien campés, rythme sans temps mort, la pièce déroule à vive allure son lot de surprises et d’énormités, et on se laisse aller au plaisir de cette histoire tissée de gros fils avec des comédiens qui nous font tout passer, Florence Pernel épatante en femme de tête et Michel Leeb irrésistible, dans une mise en scène de Jean-Luc Moreau.
Fallait pas le dire, Théâtre de la Renaissance
C’est un beau trio familial, qui porte une pièce enlevée et drôle, piquante, qui porte un regard acéré sur notre époque et sur nos relations quotidiennes. Elle, Evelyne Bouix, est une actrice engagée dans la cause des femmes, qu’elle défend fréquemment lors de débats médiatisés. Lui, Pierre Arditi, son mari à la ville comme à la scène, semble un retraité heureux, mais dépassé par la vitesse à laquelle le monde change. A la vivacité de la femme, à ses révoltes candides, à sa soif de sincérité et de vérité, l’homme répond par une tempérance de diplomate, une politesse de jésuite, une hypocrisie de façade. Salomé Lelouch, la fille de Claude Lelouch et d’Evelyne Bouix, a concocté de savoureux dialogues, en forme de saynètes ponctuées de chansons, pour raconter le quotidien de ces deux-là, qu’elle met en scène avec Ludivine de Chastenet. La trottinette, le voile, la GPA, le réchauffement climatique ou le choix d’une botte de ciboulette deviennent les flèches d’une joute conjugale qui évoque Nathalie Sarraute ou Yasmina Reza, pour ce savant mélange entre anecdote et gravité. On rit beaucoup, et de nous mêmes en premier. Un décor astucieux et léger permet aux acteurs de glisser d’un univers à un autre, à Pierre Arditi de fomenter ses colères et à Evelyne Bouix de le narguer malicieusement en trottinette !
Là-bas, de l’autre côté de l’eau, Théâtre La Bruyère
C’est l’une des plus belles productions de cette rentrée. « La bas, de l’autre côté de l’eau » raconte l’une des périodes les plus tragiques qu’aient connue la France et l’Algérie durant huit années, de 1954 à 1962. A travers l’histoire de deux familles, l’une de Montrouge, dont le fils, fan de rock and roll et d’Eddy Mitchell, s’engage fleur à la guitare vers l’Algérie, et l’autre d’Alger, avec une mama pied noir originaire d’Italie et deux filles qui n’ont qu’à bien se tenir dans l’entreprise d’huiles de la banlieue d’Alger. Entre les deux, une histoire d’amour, la violence des gradés et la misère des jeunes étudiants projetés dans des combats sauvages, la fidélité des pieds noirs à un pays auquel ils ont tout donné et la révolte des combattants du FLN qui crient leur désir d’indépendance. Deux pays, qui se déchirent mais dont les populations sont inextricablement, viscéralement liés et que les responsables politiques ont souvent mal compris. C’est Pierre-Olivier Scotto qui a écrit cette saga en forme de feuilleton historique que Xavier Lemaire met en scène avec une douzaine de comédiens tous exceptionnels. On passe d’un café-restaurant de Montrouge à la banlieue ensoleillée d’Alger, d’une terrasse à la plage à un maquis de combattants fantômes, comme dans un film. Mais l’intelligence du spectacle et du texte, portée par celle des comédiens épatants, est de nous faire entendre la polyphonie des voix présentes. La souffrance des jeunes algériens révoltés par le colonialisme n’exclut pas celle des pieds-noirs modestes, instituteurs ou commerçants, sacrifiés par la violence du conflit. C’est par le théâtre, les images que se fait entendre cette grande histoire dont on n’a pas fini d’essuyer les larmes, mais qui revit ici, vibrante, devant nous.
Le Visiteur, Théâtre Rive Gauche
Eric-Emmanuel Schmitt nous revient avec l’un de ses textes les plus forts et énigmatiques, qui met en scène la rencontre d’un Sigmund Freud vieillissant face à un personnage lumineux et surgi de la rue, bienheureux et philosophe, sage ou échappé de l’asile, qui ressemblerait à Dieu. La jeune metteure en scène Johanna Boyé dirige Sam Karman (Freud) et Franck Desmedt (Dieu) dans cet éblouissant face à face qui fait de ces deux êtres deux animaux qui se flairent et s’épient. Sam Karman interprète le maître de la psychanalyse avec une bouleversante sagesse, comme accroché à la raison lorsque les Nazis défilent en 1938 dans les rues de Vienne, refusant de croire au désastre de la déportation. Franck Desmedt est un funambule céleste qui distille des vérités et botte en touche comme Cyrano, et leur duo fonctionne parfaitement. Katia Ghanty joue la fille de Freud, révoltée et frémissante, quand Maxime de Toledo incarne l’officier nazi. Sur le petit plateau du Théâtre Rive Gauche, ces quatre comédiens font des prodiges et nous font entendre un texte simple et déroutant à la fois sur nos croyances intimes, sur les méandres de nos certitudes et de nos doutes. Entre science et magie, la conscience du temps qui passe et de l’Histoire en marche.
La promesse de l’aube, Lucernaire
Franck Desmedt, acteur dans « Le Visiteur », incarne le jeune Romain Gary dans son autobiographie romancée dont il a sélectionné les plus puissants extraits dans une heure de pure émotion et d’humour vital. Une heure de bonheur.
88 fois l’infini, Bouffes Parisiens
Dans une grande maison au coeur de la forêt, superbe décor de Jacques Gabel, deux demi-frères se retrouvent après 13 ans de brouille. Philippe, incarné par François Berléand, revient sur les terres d’Andrew, pianiste et compositeur virtuose, qui lui a piqué sa femme. C’est cette même femme, Hélène, qui a organisé leur rencontre. Andrew joue aux échecs, bougon et irascible, quand Philippe, une valise à la main, tente désespérément de lier la conversation. Le piano à queue d’époque reste fermé, car Andrew ne joue plus. Et la valise, posée en plein coeur de la scène, contient une série de lettres familiales, de quoi faire exploser le noeud des certitudes de chacun. L’alcool aidant et la bouteille de Scotch se vidant, Philippe va aider son frère à se souvenir d’un père qui l’a rejeté, pour des raisons qu’il ne pouvait s’imaginer. Hélène bien sûr ne viendra jamais, et les deux frangins, éloignés par des années d’incompréhension, vont se rapprocher. Niels Arestrup campe un homme détruit et rattrapé par ses démons familiaux, son absence de père et une enfance malheureuse. L’acteur excelle dans ce type de personnages et sa présence est un spectacle à lui tout seul. François Berléand, demi-frère moins torturé, plus pragmatique, plus caustique, projette par sa simplicité et sa clairvoyance une grande humanité. Le spectacle vaut pour ces deux acteurs, qui s’épient comme chien et chat, se jalousent comme des coqs, dans une pièce qui manque d’originalité et de rythme. Mais la mise en scène de Jérémie Lippmann opère comme un lent rodéo.
Hélène Kuttner
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