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Les mots s’improsent… et Félix Radu s’impose !

Myriem Hajoui 3 mars 2020
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Félix Radu © Loris Romano

Attention, réjouissante découverte ! Arborant une triple casquette d’humoriste-auteur-comédien, Félix Radu s’impose avec un seul en scène détonnant où humour, philosophie, poésie et absurde s’entrelacent dans une subtile alchimie. Une chose est sûre : l’avenir lui adresse déjà de larges sourires.

Le passé recomposé

Pour comprendre son tropisme en faveur des grands auteurs, revenons à la source. Donc, il était une fois un petit garçon seul et timide, ayant pour uniques amis un stylo, son carnet de poésie, Les Contemplations de Victor Hugo et… son ombre qu’il épiait au soleil (spéciale dédicace à sieur Will) ! Vouant une admiration sans bornes pour le romantisme, le gamin passe son temps à lire (Musset, Camus, Molière, Shakespeare…), à écrire des poèmes d’amour ou des textes énigmatiques avant de fonder à 15 ans son propre cercle des poètes disparus. Il grandit, s’ouvre au monde, s’essaye à d’autres styles tels le roman, la chanson, le rap, le sketch et finit par atterrir à l’IATA-Namur et le voilà diplômé en Art de la Parole et du Théâtre en 2015. C’est parti : débuts sur la scène du Festival International du Rire de Liège, premières parties d’artistes reconnus (Les Frères Taloche, Pierre Richard, Virginie Hocq…), concours de poésie, festivals, Cours Florent. À 20 ans, l’ami Félix s’est forgé un esprit et une conviction d’airain : il va écrire, marcher vers le soleil et vivre de théâtre.

Jeux de mots et maux du “je”

Si l’on ajoute que ce jeune humoriste belge avoue être criblé de peurs (le temps qui passe, l’amour, la mort, la solitude…), vous allez sûrement être pris d’une irrépressible envie de fuir. Vous auriez tort. Car sa politesse suprême, c’est de faire de son anxiété le moteur d’un spectacle drôlissime. Une preuve éclatante nous en est administrée avec ce surprenant seul en scène taillé pour faire tomber toutes les réticences. Son rayon : vulgariser la littérature, tordre la syntaxe, jouer avec les mots, en dénouer le sens, emberlificoter la logique en enchâssant habilement traits d’esprit, jeux sémantiques et assonances astucieuses. Un exercice d’équilibriste parfaitement exécuté autour de grands thèmes universels : la vie, la folie, le suicide, l’amour… Pas de panique, Félix Radu n’est pas du genre à vous ruiner le moral. Il incarne juste une figure assez rare dans l’univers proliférant de la scène humoristique : celle d’un artiste sensible et subtil – en somme étranger à notre époque – se préservant de toute vulgarité et préférant le geste en cavale aux vannes aguicheuses.

Le cercle des poètes pas encore disparus

Sur l’affiche, un air de gosse ahuri, un stylo au bout des doigts et un corps tatoué de mots : lui, c’est Félix Radu et vous allez l’aimer. Dès qu’il apparaît, un monde naît, parfaitement singulier, de nature à nous entraîner loin, très loin des routes habituelles. Vous en connaissez beaucoup, vous, des humoristes osant invoquer Henry David Thoreau, Rainer Maria Rilke, s’emparer de l’allégorie de la caverne de Platon (Livre VII de La République) ? L’idée : faire du spectateur un partenaire de jeu et de réflexion et un nouveau membre de son “cercle des poètes pas encore disparus”. Pari réussi : un peu magicien des mots et toujours élégant baladin des lettres, il convoque Le Petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry mais aussi des mythes antiques pour poser quelques questions essentielles. Par exemple, pourquoi Camus commence-t-il son essai sur le mythe de Sisyphe en affirmant “Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide” ? Rien d’abscons ni de rasoir cependant dans ce mélange inédit croisant poésie, philosophie et absurde poussé jusqu’au pataphysique. Au contraire, sa relecture sisyphéenne claque comme une réécriture ludique et drolatique du mythe. Une catharsis, un exutoire… appelez-ça comme vous voudrez, mais ce que vous observerez sur le visage des spectateurs, c’est bien la banane !

Un obsédé textuel… à prendre à la lettre

Félix Radu impose un geste d’écriture singulier qui le distingue et l’identifie. Ses textes, il les agence comme de fragiles échafaudages de boîtes gigognes : un premier mot fait germer une idée qui engendre une sonorité laquelle déclenche un jeu de mots ouvrant vers une vaste plaine absurde. Et notre obsédé textuel se délecte lorsqu’il parvient à plonger le spectateur dans un abîme de perplexité ou dans un effet retard qui décuple l’effet comique ! On pense bien sûr à feu Raymond Devos tant le supplice du “car qui part de Caen pour aller à Sète – oui mais quand ?” lui va comme un gant. Il n’a pas obtenu sans raison à seulement 20 ans “Le prix de l’humour 2016 par la Fondation Raymond Devos”. Mais on peut également lorgner les vivants (Bruno Coppens, Stéphane De Groodt, des filiations revendiquées) et ajouter qu’il y a aussi du Alex Vizorek dans cette écriture alésée au micron (le livret de son seul en scène est préfacé par ce dernier et Jérôme De Warzée). C’est dire qu’on est en bonne compagnie. On cesse très vite de raisonner pour savourer de beaux éclats : une rencontre avec une Rose qui “lui fait perdre les pétales” et lui apprend que “lorsqu’une fleur se referme, le débat est clos”, une plainte contre La Mort “pour faux et usage de faux”, un constat dépité “On me dit que le temps c’est de l’argent ? Non, parce que du temps j’en ai !”. On en passe et des meilleures…

La nouvelle sensation du moment

Audacieux et maîtrisé, ce seul en scène est avant tout un univers : celui d’un jeune Namurois qui s’annonce comme la dernière sensation à bousculer et renouveler le landerneau humoristique. S’il n’en est qu’à ses débuts, Félix Radu – 24 ans aux dernières récoltes – devrait faire des étincelles à l’avenir. Outre le plaisir du verbe, ce spectacle est traversé par un souffle chaleureux, une fraîcheur désarmante et un recul qui tranchent avec l’autosatisfaction ambiante. Si le garçon possède à la fois le talent d’un raconteur d’histoires et une grâce d’écriture, il faut aussi souligner sa prestation scénique : qu’il incarne un vieux prof de chant roué, un pseudo psy halluciné ou une jeune fille en fleur, son visage et sa voix muent au gré des personnages et font simplement merveille. Difficile de ne pas être pris dans les mailles de ce récit presque choral boosté par une mise en scène au geste discret mais sûr signée Julien Alluguette. Ce petit bijou d’humour subtil nous rappelle que l’époque, même chargée d’orages et de désarroi, est passionnante. Plus succulent qu’un tic-tac (les initiés comprendront), un bonbon qui crépite sous la langue et auquel on a très envie de goûter à nouveau. Un vrai coup de cœur. On en veut plus et vite !

Myriem Hajoui

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