“Les Misérables”, une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet
Plus de quarante ans après la première création en français, l’opéra d’Alain Boublil et de Claude-Michel Schönberg revient au Théâtre du Châtelet dans une nouvelle version et une mise en scène de Ladislas Chollat. Quarante interprètes dont des enfants constituent la brillante troupe menée par Jean Valjean et Cosette dans la misère d’un Paris populaire et sous les feux brûlants des barricades de 1832. L’orchestre est dirigé avec un romantisme exalté par la cheffe Alexandra Cravero. Un spectacle idéal pour petits et grands, afin de réchauffer notre fin d’année hivernale.
Un succès mondial
Qu’est-ce qui explique la longévité et le succès de cette comédie musicale, adaptée du roman fleuve de Victor Hugo, 1500 pages vibrantes d’humanité, grouillant de personnages et de péripéties, du bagne de Jean Valjean au repère des Thénardier, des barricades de 1832 à la rédemption christique d’un forçat ? Le génie de Victor Hugo, qui mit dix-sept années à composer son chef-d’œuvre, interrompu par la Révolution de 1848, se mêle ici au talent immense du librettiste Alain Boublil et du compositeur Claude-Michel Schönberg qui ont créé, adapté et sculpté le texte avec la musique pour en conserver les épisodes les plus marquants. Créée en 1980 à Paris, l’œuvre est adaptée en anglais cinq ans après à Londres par le producteur Cameron Mackintosh, et c’est ce spectacle qui tourne depuis plus de trente ans dans le monde entier, remportant depuis des années un gros succès au Japon. Retour aux sources donc pour ce succès qui reprend vie aujourd’hui dans sa langue originale, le français, après sept années de travail acharné, grâce au producteur Stéphane Letellier-Rampon, au Théâtre du Châtelet et à la ténacité bouillonnante du metteur en scène Ladislas Chollat, tombé littéralement amoureux des Misérables dans leur version originale.
« Pour un morceau de pain »
Pour mettre en scène cette saga romanesque à souhait, centrée sur l’épopée dramatique d’un ancien bagnard, Jean Valjean, qui purgea une lourde peine après le vol d’un morceau de pain chez un boulanger alors qu’il n’avait que 26 ans et qu’il était soutien d’une famille pauvre durant un hiver glacial, Ladislas Chollat a fait le choix d’une scénographie au symbolisme puissant, avec un jeu de lumières cinématographique. L’Enfer de Dante, sublimé par la gravure de Gustave Doré, sert de matrice esthétique au décor qui déploie sur le plateau sombre deux promontoires pentus qui relient l’enfer au paradis. Les étoiles du ciel nocturne de Gustave Doré deviennent ici des projections blanches et bleutées, volutes fantastiques, dessinant un théâtre d’ombres réalisé grâce au travail vidéo de la société Cutback. Le noir et le gris, ambiance nocturne chahutée des bas-fonds dominent dans la première partie, alors que la deuxième partie s’ouvre sur le rouge flamboyant des drapeaux de la révolution et à la pyramide de corps et d’armes, de tonneaux et de caisses, venus réparer le sentiment d’injustice des parisiens en colère. La fluidité des décors signés Emmanuelle Roy, qui nous font glisser sans aucune lourdeur du monologue de Valjean au mariage final entre Cosette et Marius, opèrent comme par magie grâce au jeu de lumières d’Alain Sauvé. Du côté des costumes, la pâte experte de Jean-Daniel Vuillermoz a patiné les tissus rapiécés, usés, déchirés des Misérables, retrouvant aussi l’éclat coloré en bleu, en gris ou en rouge des costumes d’époque, au plus près d’un naturalisme et de la vérité sociale des personnages.
Casting en or
Pour camper ces personnages en état de survie permanente, au bord de l’abîme, il fallait des interprètes techniquement irréprochables et dont l’engagement dramatique demeure sans faille. Les quarante interprètes de la distribution sont tous épatants, autant les premiers rôles que les choeurs puissants. Les enfants, Gavroche, Cosette et Eponine, sont incarnés avec beaucoup d’émotion par de jeunes chanteurs issus de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Le tout jeune Gavroche, surtout, haut comme trois pommes, fait un malheur sur le plateau avec sa dernière scène, au cœur des barricades. Le ténor Benoît Rameau, présence forte d’un physique terrien, doté d’une belle ductilité vocale qui va des médiums aux aigus longs, prête sa diction précise et parfaite au personnage de Jean Valjean, encore frais et droit dans ses bottes dans son nouveau rôle du maire, quasi-christique dans sa scène finale avec sa tunique de mourant nimbée de blanc. Timbre clair et musicalité élégante, le chanteur donne aussi au personnage une séduction altière, énigmatique, qui nous tient en haleine. Face à lui, le terrible Javert de Sébastien Duchange est son double inversé, coupant et dur comme une pierre tombale, fascinant et terrifiant.
Claire Pérot campe Fantine, fière et droite comme le courage, lumineuse et sombre voix du malheur, tandis qu’Océane Demontis, physique et voix solaires, explose dans le rôle d’Eponine, la camarade laissée pour compte. La Cosette adulte de Juliette Artigala, la taille gainée dans une robe blanche et bouffante, est déchirante de passion amoureuse et son Marius, que joue Jacques Preiss, nous arrache des larmes. Tous sont magnifiques, Maxime de Toledo en Evêque de Digne ou Stanley Kassa qui incarne le fiévreux Enjolras. Accordons une mention spéciale au couple Thénardier, atroces profiteurs du malheur des autres, dont Christine Bonnard et David Alexis réalisent une composition caustique, comique et cynique à souhait ! Il faut saluer la précision et l’énergie de la cheffe d’orchestre Alexandra Cravero, en alternance avec Charlotte Gauthier, qui dirige l’Orchestre du Théâtre du Châtelet en fond de scène, fruit de répétitions exigeantes. On vous l’aura dit, voilà une production qui coche toutes les cases de la réussite.
Hélène Kuttner
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