“Les marchands d’étoiles” : un atelier de confection qui réveille la grande histoire
Au Théâtre du Splendid, la pièce signée Anthony Michineau poursuit sa route en beauté après le beau succès du Festival d’Avignon 2023. Alors que la vie s’écoule modestement dans un atelier de tissu parisien en 1942, l’atmosphère tranquille vire au drame avec l’intervention de la milice. Chacun doit choisir son camp. Dirigés par Julien Aluguette, huit comédiens formidables donnent vie à cette comédie amère fortement inspirée de la réalité de l’époque. A voir de toute urgence.
Sous l’Occupation
Alors que la France bascule dans l’horreur de l’Occupation, la huitième ordonnance allemande, datée du 29 mai 1942, interdit aux Juifs français et étrangers de paraître en public sans porter l’étoile jaune sur le coté gauche de la poitrine, dès l’âge de 6 ans. Une mesure de discrimination qui s’étendra, dès juin 1942, à toute l’Europe occupée par les Nazis et qui coïncide avec la solution finale. Ces étoiles de tissu jaune, fabriquées par centaines pour être achetées et cousues (3 par personne) sur les manteaux, ont bénéficié financièrement à deux entreprises parisiennes : l’une produisait et découpait le tissu (Barbet-Massin-Popelin) et l’autre, une imprimerie (Charles Wauters et Fils) imprimait le mot Juif sur le tissu. Anthony Michineau, acteur et auteur, a eu l’excellente idée de s’inspirer de cette histoire vraie pour reconstituer l’atelier de tissu du couple Martineau.
Une comédie lumineuse
Sous une mauvaise lumière, dans un sous-sol dont les fenêtres minuscules sont voilées durant le cessez-le-feu, Raymond, le père, patron râleur mais magnanime, au fort accent méridional à la Pagnol, incarné à la perfection par Guillaume Bouchède, mène sa troupe de travailleurs pour sauver coûte que coûte son entreprise. A ses côtés, son épouse Yvette, campée par Stéphanie Caillol, travailleuse et sage, mais dont la force de caractère se révèlera avec la suite de l’intrigue. Autour des rouleaux de tissu, à découper et à rouler, se trouve aussi leur fille Paulette, que campe Axelle Dodier, une beauté piquante et peu farouche, un jeune homme nommé Joseph, incarné par Julien Crampon, dont on apprendra vite qu’il est juif par sa mère. Au moment où le jeune candide fait cette malheureuse révélation, le plus âgé et le plus silencieux des employés, Louis, joué par Anthony Michineau, change de mine. C’est que son ami de fraîche date, Marcel, est un milicien zélé qui écume le quartier en quête de Juifs sur lesquels il tire fièrement comme sur des lapins. Nicolas Martinez campe avec talent ce profiteur sans foi ni lois qui finira par préempter la juteuse entreprise.
Un spectacle édifiant
Une intrigue claire comme un roman policier haletant, un rythme soutenu assuré par une mise en scène au cordeau de Julien Aluguette, des dialogues à la vivacité fraîche et à l’humour décapant, sont les éléments de cet excellent spectacle qui est porté par des comédiens à la générosité communicative. On s’amuse, tout d’abord, du semblant d’autorité de Martineau sur sa femme et sa fille, du sérieux qu’il tente d’imposer à son personnel exsangue, mais dès que le danger de la dénonciation s’immisce, dès que la révélation de Joseph se fait jour, on frémit et on sursaute aux coup frappés régulièrement sur la porte de l’atelier. La réussite de ce spectacle, qui se destine à tous les publics, est de porter à la scène des gens ordinaires face à un choix dans une période cruciale. Ni anges, ni salauds, ils obéissent plus ou moins à leur intérêt personnel, jusqu’à ne pas pouvoir s’en libérer. Une vraie réussite.
Hélène Kuttner
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