Les indomptables chorégraphes du Festival d’Automne 2015
Festival d’Automne 2015 Spetembre 2015 – janvier 2016 |
De septembre 2015 à janvier 2016 Non, le plus grand festival de l’année n’est pas celui d’Avignon. C’est le Festival d’Automne qui assure une partie importante de la programmation parisienne, de septembre à janvier, dans quarante lieux intra- et extra-muros. Au sein de cette abondance, la danse se montre sous toutes ses coutures. Et surtout, elle sort ses griffes! Si le label du festival est prestigieux, c’est qu’il présente immanquablement des vedettes, comme en 2015 Anne Teresa De Keersmaeker, Lucinda Childs et Romeo Castellucci. Mais plus encore, le directeur artistique Emmanuel Demarcy-Mota et son équipe (citons surtout Marie Collin pour le théâtre, la danse et les arts plastiques) cherchent à présenter des chorégraphes qui surprennent, dérangent, osent et qui ont déjà conquis un public explorateur, mais peut-être pas encore celui du Festival d’Automne. Des artistes pour lesquels la création chorégraphique représente un engagement radical, un enjeu politique au sens noble du terme. En septembre: Bouchra Ouizgen, Nadia Beugré, Eun-mi Ahn “Ottof” de Bouchra Ouizgen est une pièce puissante et libératoire, d’une étoffe toute particulière. Avec une force contagieuse, ces femmes berbères nous parlent d’enjeux majeurs de leurs vies d’épouses et de mères. Ces Marocaines “normales” sont devenues artistes, d’abord de cabaret, ensuite dans l’avant-garde occidentale. Sauf qu’elles n’ont jamais perdu le lien avec la réalité de la vie de Mme tout-le-monde. Guidées par Ouizgen, elles ont conquis une nouvelle fierté et défient les normes du spectacle occidental. C’est dans leur vérité qu’elles se révèlent et nous surprennent. Chapeau bleu, casquette de baseball. La transformation est totale. Nina Simone à la fin, pour leur permettre de danser leur libération. “Ottof”: Les fourmis. Celles qui, infatigables, peuvent faire plier des dictatures par leur travail acharné, jour par jour. En dansant, en chantant. (Centre Pompidou, 16-20 septembre) Pas moins agitatrice, pas moins investie dans la cause de la libération de la femme en Afrique: Nadia Beugré. “Legacy”, son duo avec Hanna Hedman, et renforcé par une poignée de femmes aux horizons très divers, renvoie à un legs culturel particulier, les marches des femmes africaines pour leurs droits civiques. Aussi, les interprètes de “Legacy” courent, courent, courent… (Théâtre de la Cité Internationale, 28 septembre – 2 octobre) Dans son solo “Quartiers Libres”, Beugré met en scène sa propre conquête de la liberté à circuler dans l’espace public. Et elle montre sa liberté d’artiste qu’elle résume en se revendiquant autodidacte en matière de technique de danse: “Je n’ai pas été formée et ça ne me manque pas, parce que je crois que la danse est la vie elle-même.” (Le Tarmac, 14-17 octobre) Eun-mi Ahn, révolutionnaire de la danse contemporaine en Corée du Sud, était la première à oser mettre en scène des interprètes nues sur une scène coréenne, et ça a suffi pour se faire une réputation d’enfant terrible. Le Théâtre de la Ville et la Maison des Arts de Créteil l’invitent aujourd’hui avec une trilogie audacieuse. Pour “Dancing Grandmothers”, Ahn a commencé par un voyage à travers le pays, incitant des grand-mères inconnues à se lâcher dans une danse, en pleine rue, dans leurs boutiques ou ailleurs. Dans les vidéos tournées alors, on les voit redécouvrir avant qu’elles n’entrent sur le plateau, telles qu’elles sont dans la vie. Sauf que le décor n’est pas le même. Ici, elles se mêlent aux jeunes danseurs professionnels dans une ambiance de paillettes, de glamour, de rêve. On est en “boîte”, et le public aussi finit par danser. (Théâtre de la Ville 27-29 septembre) [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=lq5gCAIA3Fo[/embedyt] “Dancing Teens Teens”: Après, Ahn s’est tournée vers les jeunes, ceux qui incarnent la Corée de demain. Que dansent-ils? Pourquoi dansent-ils, dans ce pays qui change de plus en plus vite, où pourtant les valeurs traditionnelles coexistent avec le monde des adolescents. Ces jeunes, soumis à une compétition sans merci pour les meilleures places, dansent leurs propres rêves, copiant des modèles diffusés sur internet. (Théâtre de la Ville, 23-25 septembre). Et finalement, la génération du milieu, les pères des ados et fils des sexagénaires! Ils boivent, ils vivent, ils dansent. Tout récent, ce volet sera la pochette surprise de la trilogie. “Dancing Middle Aged Men” (MAC Créteil, 2-3 octobre) En octobre: Maguy Marin, Jérôme Bel Reprendre “Umwelt”, quelle gageure! Créée en 2003, cette pièce a valu à Maguy Marin et ses interprètes des attaques physiques venant de spectateurs énervés. Pourquoi? “Umwelt” est un portrait d’une société de consommation où les êtres ne font que passer et sont relégués au fond. Ils apparaissent, disparaissent, reviennent et s’éclipsent sur un rythme imperturbable, dans un système de portes et de miroirs. En fond sonore, le son strident et continu des guitares électriques. “Umwelt” incarne tout le côté irréductible de Maguy Marin. Sommes-nous aujourd’hui plus à même de recevoir cette pièce radicale, ou moins qu’en 2003? (MAC Créteil 9-10 octobre, Théâtre de la Ville 4-8 décembre). “Gala” de Jérôme Bel est un joyeux tour de nez aux idées reçues sur le ballet, sur ce qu’est un beau danseur, sur le spectacle, le théâtre etc. Bel mélange professionnels, amateurs, jeunes et vieux, grands et petits, valides et handicapés. Ensemble ils fêtent la danse, en se jetant dans les bras de figures-clés de l’imaginaire populaire: Le Grand jeté et la pirouette du ballet, le moonwalk de Michael Jackson. Et soudain, il apparaît que les amateurs et les corps non parfaits racontent tellement plus que les professionnels. “Gala” nous libère de nos attentes et abolit toute hiérarchie entre les interprètes, et même entre ceux qui sont en scène et les autres, venus en spectateurs. On dialogue plus qu’on ne regarde, et tout le monde s’amuse. “Gala” révèle que chez nous aussi il reste beaucoup à libérer. Ce spectacle est un très bon début. (Nanterre-Amandiers 17-20 septembre, La Commune Aubervilliers 1-3 octobre, Théâtre de la Ville 30 novembre-2 décembre)
En novembre: Mette Ingvartsen, Anne Teresa de Keersmaker La peau, le toucher, la nudité – et donc le corps – sont au centre de “7 pleasures” de Mette Ingvartsen. Les plaisirs évoqués sont tout à fait de nature sexuelle, mais le propos du spectacle est justement de mettre en question les idées que nous nous en faisons habituellement. Une meute d’environ une dizaine de danseurs, nus, délicats, sauvages, explorateurs et perturbateurs livrent une pièce de danse-contact de grande intensité. Mette Ingvartsen montre une fois de plus qu’elle est autant chercheuse que chorégraphe. (Centre Pompidou, 18-21 novembre) Anne Teresa de Keersmaeker n’exprime pas dans ses pièces un esprit de révolte évident, mais à sa façon, elle n’est pas moins irréductible qu’une Maguy Marin. Chacune de ses pièces entreprend une recherche sur le rythme et l’espace, sur le rapport le plus intime et intrinsèque entre la musique et le mouvement. En ce moment, elle étend ces explorations à la musique intérieure d’un texte. Après avoir mis en chorégraphie les émotions et conflits qui sous-tendent “Comme il vous plaira!” de Shakespeare dans “Golden hours (As you like it)”, elle se penche aujourd’hui sur Rainer Maria Rilke et sa nouvelle “Die Weise von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke” qui donne directement son titre à la pièce. Mots, voix, souffles et corps pour chercher une partition commune. (T2G de Gennevilliers, 25-29 novembre) En décembre: Miguel Guitterrez, DV8 “The Age & Beauty Series” de Miguel Guiterrez est une trilogie d’une sensualité déjantée, un cri de liberté dans un monde de plus en plus conformiste. Un bras d’honneur à toutes les conventions, une folie salutaire, une révolte, un manifeste, un hymne à l’underground. Les titres de ces trois pièces en disent long, et il a plus long à jeter dans la bataille que ce “Asian Beauty @ the Werq Meeting or The Choreographer @ Her Muse or &:@&”. La démesure comme but, comme une célébration du droit à la différence, culturelle ou sexuelle, ou… ou… Il faut donc s’attendre à tout. (Centre Pompidou 25-28 novembre, Centre National de la Danse 1-4 décembre et 7-11 décembre). [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=GHMOtrR4x7Q[/embedyt] DV8 et son fondateur Lloyd Newson pratiquent une danse-théâtre extrêmement engagés sur des questions de société et de liberté. “John” parle d’un homme qui est confronté, dans le monde actuel, à toutes formes d’empêchement de choisi librement ce qu’on voudrait vivre, être et donner. Le personnage appelé John est le condensé d’une cinquantaine d’interviews de gens ordinaires vivant en Angleterre, et donc une approche sans fard de la réalité sociale. Comme toujours, Lloyd Newson n’esquive aucune zone à problèmes, aussi intime soit-elle. (Grande Halle de La Villette, 9-19 décembre). Thomas Hahn [ Photos : © Young-Mo Choe ; Anthony Merlaud ; Christian Ganet; Courtesy Les Amandiers © Cie RB Jérôme Bel. Photo: Véronique Ellena ; Marc Coudrais ; Ian Douglas ] |
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