Les Géants de la montagne ont vieilli
Les Géants de la montagne De Luigi Pirandello Traduction de Stéphane Braunschweig Mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig Avec John Arnold, Elsa Bouchain, Cécile Coustillac, Daria Deflorian, Claude Duparfait, Julien Geffroy, Laurent Lévy, Thierry Paret, Romain Pierre, Pierric Plathier, Dominique Reymond, Marie Schmitt, Jean-Baptiste Verquin et Jean-Philippe Vidal Relâche du 18 au 28 septembre inclus Tarifs : de 14 à 29 € Durée : 1h50 La Colline M° Gambetta |
Jusqu’au 16 octobre 2015
Dans le registre d’un long conte, cette pièce interroge sur la question de l’art face à la brutalité du monde et de l’étanchéité entre folie et raison. Restée inachevée, Pirandello étant mort subitement d’une pneumonie en 1936, elle peine malgré la teneur de son discours à trouver sa place dans la théâtralité d’aujourd’hui. Un groupe de personnes étranges vit à l’écart du monde dans une villa au pied d’une montagne. Marginaux, ces individus sont aimantés par la figure de leur camarade Cotrone, sorte de magicien charmeur et ensorceleur. Soudain, ils voient arriver une bande de gens dont tout d’abord ils se méfient mais, découvrant qu’il s’agit de comédiens, ils accueillent ces hôtes imprévus et finalement ils leur demandent de rester. Parmi cette compagnie d’acteurs ambulants, Ilse est une actrice pleine d’excès et de feu tantôt dévastateur tantôt subjuguant, figure du créateur en proie à l’irrationnel. Cette actrice arrive très tourmentée car elle a essuyé des échecs en interprétant une pièce intitulée La Fable de l’enfant échangé, écrite par un poète qui l’aimait et qui s’est suicidé, elle-même étant mariée et fidèle. De cette rencontre entre les occupants de la villa et ces visiteurs artistes naît un dialogue énigmatique qui part sur deux voies, les frontières insaisissables entre réalité et imaginaire, éveil et rêve, et la nécessité ou non pour l’artiste de persévérer face à une société que la modernité insensibilise. On retrouve dans cette pièce le ressort dramatique récurrent de l’auteur, à savoir le dédoublement vécu tout autant comme horrible et aliénant que comme générateur d’images et de discours. Le réel se mêle à l’imagination et des personnages sont pris de délires, dans lesquels les scènes théâtrales s’imbriquent à du vécu, entraînant des confusions surréalistes. Ces effets de miroir des consciences donnent lieu à de longs dialogues qui exposent des théories sur les croisements de cauchemars et d’enchantement. Pirandello, peu de temps avant sa mort, écrivait : “Mon art n’a jamais été aussi plein, aussi varié et imprévu : c’est vraiment une fête pour l’esprit et pour les yeux.” Depuis Pirandello, le cinéma, la littérature et la psychanalyse se sont emparés avec fièvre de ces brouillages de frontières et, sans aller jusqu’à Castaneda, on ne peut que souhaiter plonger en eaux profondes. Or, si les admirateurs de Pirandello retrouveront dans ce texte épais ses thèmes et ses caractéristiques, il n’est pas certain que les spectateurs dans leur ensemble trouvent là une fête. Stéphane Braunschweig a débarrassé le plateau et installé une haute entrée de la villa dont les lumières au néon vert indiquent un tempo contemporain, a contrario du jeu des acteurs conduits non sans académisme. Les déplacements sont à l’économie et ces deux groupes qui se découvrent demeurent dans une occupation stagnante du plateau et dans des corps raides. C’est du travail bien fait mais sans folie et l’irrationnel y devient ennuyeux, hormis l’étrangeté et les sursauts corporels et vocaux de Ilse, ici Dominique Reymond dont la présence maintient voire magnétise l’attention. La pièce, à vouloir la monter aujourd’hui, demande à être saisie par un parti pris audacieux, car, à moins d’être un inconditionnel de Pirandello, il est difficile de soutenir cette élaboration théorique fort bavarde qui résiste mal aux enjeux théâtraux actuels. On sait que Pirandello avait flirté avec le parti de Mussolini et il est malaisé de détacher son engagement de son interrogation quant à la fonction du poète face à ce qu’il est convenu d’appeler la masse. On ne sait plus par les temps qui courent qui prend de la hauteur et peut-être la proposition des Géants de la montagne aurait-elle gagné à se jouer sur un registre démesuré ou décalé. Émilie Darlier [Photos © Elisabeth Carecchio] |
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