“Les Fausses Confidences” : Alain Françon signe un Marivaux de grand art
©JeanLouisFernandez
Au Théâtre Nanterre-Amandiers, le metteur en scène Alain Françon signe une mise en scène lumineuse de la comédie de Marivaux avec des interprètes au talent brillant. La vérité s’y dissimule comme un furet derrière des dialogues à la langue ciselée comme un diamant, pour cerner une société déjà obsédée par l’argent. Remarquable.
Masque social

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Rarement dans l’oeuvre magistrale de Marivaux, la question de l’argent, et des moyens de s’élever socialement, n’aura été aussi présente que dans Les Fausses Confidences, comédie écrite en 1737. Immédiate, violente, cette question s’invite dès le début de l’intrigue par l’entremise machiavélique de Dubois, l’ancien valet d’un jeune homme ruiné, Dorante, le fils d’un avocat désargenté. Dubois, manipulateur audacieux à la manière d’un Figaro, connaît la psychologie des corps sociaux, et des corps individuels, à la perfection. Araminte, la jeune veuve aperçue lors d’une sortie à l’opéra, est riche et charmante, et c’est sur elle que plongent en apnée les doux yeux de Dorante. « Je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, toit ruiné que vous êtes (…) Quand l’amour parle, il est le maître et il parlera. » dit Dubois à son ancien maître. Pour conquérir sa cible, Dorante se fait passer pour un intendant chez la jeune veuve, avec l’aide de Dubois qui rentre aussi à son service, et de l’oncle de Dorante qui le pousse à se marier pour s’enrichir. Argent, amour, confidences vraies ou fausses ? A ce jeu du mensonge et de la vérité, Marivaux demeure le maître incontesté. Avec comme arme fatale le langage, dont il sertit ses dialogues à la manière d’un maître en humanité et dans des dialogues où le masque des mots dissimule la vérité des sentiments.
Une mise en scène lumineuse

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Comme il l’avait déjà fait dans La Seconde Surprise de l’amour en 2021, Alain Françon place ses acteurs en pleine lumière et dans un décor aux lignes antiques et pures, superbe scénographie de Jacques Gabel. Seules quelques ouvertures plus sombres indiquent des antichambres dont le clair-obscur fait le lit des cachoteries et des stratagèmes. C’est Gilles Privat, que l’habit noir et le crâne rasé font ressembler au Docteur Mabuse, qui tire merveilleusement les ficelles des intrigues et des confidences qui s’emboîtent et se développent à l’infini, tandis que Pierre François Garrel campe un Dorante faussement rêveur avec son costume étriqué de collégien et ses mèches blondes ébouriffées. Aime-t-il passionnément Araminte, la jolie veuve en longue robe soyeuse que Georgia Scalliet interprète avec une souveraine intelligence, une langueur faussement innocente offerte avec une suprême perfection ? Où cherche-t-il simplement sa fortune ? La belle parait d’emblée conquise par la finesse et l’élégance verbale de ce nouvel intendant à la mine ébahie et au verbe brillant, mais ce dernier déplaît fortement à Madame Argante, sa mère, qui veut marier sa fille à un noble. Dominique Valadié, engoncée dans un tailleur bleu sombre, une décoration patriotique à la boutonnière, campe avec maestria un personnage de virago redoutable qui distille ordres et critiques comme un général de garnison.
Casting excellent

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Tous les comédiens du spectacle sont magnifiques, virtuoses d’une langue précieuse qu’ils délivrent avec la fluidité d’un philtre qui nous éblouit. Yasmina Remil est Marton, la servante futée qui tente de récupérer l’amour de Dorante. Guillaume Lévêque, épatant procureur Monsieur Rémy, Séraphin Rousseau en Lubin, Alexandre Ruby le Comte ou Maxime Terlin en garçon joaillier, complètent cette distribution épatante qui porte l’éclat littéraire et sociologique de la pièce de Marivaux. Signalons aussi la beauté, l’élégance racée des costumes de Pétronille Salomé, ainsi que la musique étrangement rock de Marie-Jeanne Séréro qui ponctue les actes. La musique des notes et des mots, la virtuosité des comédiens et de la langue, la fluidité du jeu, vivant et drôle, tout concourt à la belle réussite d’un spectacle parfait qui redonne vie à l’une des pièces les plus puissantes de notre littérature.
Helène Kuttner
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