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Les Chiens de Navarre et la famille, une joyeuse explosion

© Philippe Lebruman

Le collectif  Les Chiens de Navarre est attendu pour chacun de ses spectacles par un public enthousiaste qui se réjouit de son humour dévastateur. Avec Tout le monde ne peut pas être orphelin, la farce délirante est au rendez-vous. Le rire et le désastre sont de mèche pour dynamiter avec  insolence la sacro-sainte famille.

Tout commence par un repas de famille le jour de Noël. Sur le plateau dont le dispositif est bi-frontal, la table est dressée. Parents, enfants et conjoints sont réunis. On pourrait se croire à La Noce chez les petits bourgeois de Brecht ou dans un tableau classique de fête familiale. Mais à partir de cette vignette traditionnelle au pied du grand sapin illuminé, le dérapage vire au champ de bataille. Des scénettes et épisodes déjantés vont se succéder sans linéarité mais toujours orchestrés dans l’optique de détruire les clichés liés à la famille. La provocation va jusqu’à l’outrance et s’en prend à tout ce qui mérite communément respect et compassion. La naissance, les fusions charnelles avec le bébé puis l’infanticide, le bonheur de devenir grand-parent, les jalousies et envies de meurtre dans la fratrie, puis la vieillesse des parents, la mort et le retour à l’enfance du père sénile, toutes les étapes d’un parcours familial sont passées au crible de la comédie cruelle et d’une hilarité ravageuse.

© Philippe Lebruman

Sans limites, le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse donne à voir dans un esprit grand-guignolesque les pulsions sous-jacentes de la cellule familiale. Il s’amuse des cruautés qui s’accoquinent aux mièvres apparences. La formidable troupe qui a l’air incontrôlable conduit en réalité son démontage avec une époustouflante maîtrise et une forte générosité de comédiens qui ne reculent devant rien. Les corps nus et les scènes symboliques de meurtre, le réalisme de la dépendance physique liée à l’âge, sont des séquences de loufoquerie tendre quoiqu’acide. L’inventivité sur le plateau est incessante et la folie des gags est une jubilation pour les spectateurs. L’ambiance de fête qui enveloppe les propos corrosifs emportent le public dans un rire non-dénué de sollicitude pour cette réalité humaine qui concerne tout le monde.

La troupe des Chiens de Navarre est au meilleur de sa forme. Deux comédiens des Deschiens les ont rejoints, Lorella Cravotta et Olivier Saladin, qui ne lésinent pas, et ce pour le plus grand plaisir des spectateurs, sur l’audace à rebours de tout classicisme. La satire qui compose ce spectacle est un joyau de liberté créatrice. Elle s’en prend ici à un pilier fondateur de chacun de nous, à moins d’avoir la chance d’être orphelin, comme l’indique le titre puisé dans Poil de carotte de Jules Renard.

Emilie Darlier-Bournat

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