Les Bonnes travesties par Robyn Orlin
Mêlant cinéma, théâtre et danse, la chorégraphe sud-africaine se saisit de la pièce de Jean Genet pour la faire incarner par deux comédiens noirs, emportés dans une transe tellurique alors que le film tourné par Christopher Miles défile et les immerge dans le décor des années 70. Un spectacle performatif qui se regarde sans parvenir à porter la charge sociale et subversive de l’auteur.
Un fait divers choquant
Nous sommes en 1933, en France, dans la ville du Mans. Christine et Léa Papin, deux soeurs, assassinent à coups de marteau et de pot en étain leurs maîtresses respectives. Scandale dans la classe bourgeoise qui condamne ces bonnes dégénérées, alors que les intellectuels surréalistes de l’époque, dont Paul Eduard et Benjamin Perret, se saisissent de ce fait divers comme un message révolutionnaire. Jean Genet a 36 ans et une réputation de poète délinquant sorti de prison. La pièce qu’il écrit raconte l’histoire sordide de deux employées de maison qui projettent d’assassiner leur maîtresse, non sans auparavant avoir répété des rituels pervers de soumission et de sadisme en imitant leur maîtresse par des jeux de rôles. Cruelle et provocante, la pièce ne fut vraiment appréciée que dans les années 60 grâce au metteur en scène Jean-Marie Serreau qui la monte avec trois actrices noires.
Inversion des genres
Cinéma ou spectacle vivant ? Robyn Orlon brouille les pistes en nous présentant les deux dès le départ, immergeant le spectateur à travers le dédale de séquences en noir et blanc du film de Christopher Miles avec Glenda Jackson, débutant par la scène de l’amant de Madame embarqué par la police dans un Paris grisâtre des années 70. Le compositeur Arnaud Sallé est au pupitre électro et impulse une bande son créative et haletante, tandis qu’ Arnold Mensah et Maxime Tshibangu, en salopette à bretelles vert fluo, chaussées de baskets blanches de performers tout terrain, s’amusent à se travestir en femme, prenant la pose devant l’écran comme face à un miroir, admirant avec un narcissisme contemporain leur beauté sauvage et sophistiquée. Le contraste entre le noir et blanc classique du film ou les bonnes sont vêtues de noir dans un intérieur bourgeois de la Place Vendôme et l’allure RnB des acteurs, sexy et moulés dans un tissu fluo qui découpe au cordeau leurs silhouettes d’éphèbes qui se déhanchent frénétiquement, séduit le spectateur sans apporter de l’intérêt à la compréhension de la pièce.
Un jeu outré
Plus embêtant, le jeu outré des acteurs, notamment Andréas Goupil dans celui d’une maîtresse queer, égare le spectateur et affadit la tension même du texte, sa violence sociale. On ne sent rien de tel dans le spectacle, bien que certaines séquences et le travail vidéo soient très réussis. Ni l’angoisse des bonnes avant leur meurtre prémédité, ni leur difficulté à exister, qui les pousse à se travestir et à utiliser les attributs de la classe dominante dans un huis clos oppressif et une cérémonie secrète, ne se ressentent vraiment. Cette folie subversive se transforme ici en un rituel de connivence avec le spectateur et la caméra, explosif et joyeux, esthétiquement tragique. Dommage que ce savoir faire ne parvienne pas à éclairer davantage cette oeuvre captivante.
Hélène Kuttner
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