Les Bonnes de Jean Genet – Paris et Avignon
Claire et Solange, deux soeurs au service d’une riche bourgeoise préméditent l’assassinat de leur maîtresse. La dramaturgie de la pièce repose non pas sur l’acte même mais sur le processus psychique à partir duquel se construit le crime. Le spectateur est d’emblé happé et plongé dans les dédales de deux âmes en totale perdition. L’auteur nous fait glisser du côté obscur de l’humain où pulsions et passions sont attisées.
Alexandre Berdat étoffe les personnages en apportant une dimension « névrotique » à leur profil. Tout en nuance et sans forcer le trait, le comportement des deux soeurs oscille entre schizophrénie et sociopathie. Les comédiennes se livrent entièrement à une interprétation physique dont elles semblent toujours repousser les limites en renvoyant au spectateur toute la violence du drame qui se joue. La tension est palpable. L’émotion vive. Le ton juste.
La pièce de Genet est résolument moderne en ce qu’elle soulève des sujets encore très actuels comme l’homosexualité et la captivité. Le talent de l’auteur réside dans sa capacité à transgresser les tabous à partir d’une histoire somme toute banale. La perversion fait chez lui partie intégrante de l’individu; le contexte social en favorise l’expression. Les personnages se situent la plupart du temps au bord du précipice. La frontière entre le bien et le mal est infime. Le drame humain devient alors un drame social dont sont ici victimes les deux bonnes.
Abandonnées dès l’enfance, elle sont soumises à l’autorité d’un tiers qui exerce son pouvoir de domination, les rendant affectivement et socialement dépendantes, aliénées. Leur liberté est vaine, l’homicide étant l’ultime et illusoire issue. L’ambiguïté de leur relation, tout comme celle qu’elles entretiennent avec « Madame », aiguise l’érotisme suggestif de la pièce. Entre sado-masochisme et inceste lesbien, les fantasmes sont ainsi subtilement exposés. L’évocation du désir, la répression du plaisir, la difficulté d’être et avoir, sont autant d’éléments qui nous attachent à Claire et Solange dans leur besoin effréné d’exister.
Alexandre Berdat nous propose une mise en scène énergique et efficace. Il échappe aux clichés, en recherchant l’authenticité d’une vérité à la fois troublante et sincère. Chacune de ses comédiennes trouve ici un rôle de composition où la demi-mesure n’est pas permise. Pour une telle pièce, il fallait de la poigne, une pulsion de vie évidente.
Géraldine Tachat
Les Bonnes
De Jean Genet
Mise en scène d’Alexandre Berdat
Plus de renseignements : compagniealexandreberdat@yahoo.fr
Au Théâtre des Deux Rêves (Paris 19)
A partir du 4 mai 2012 :
En mai, les vendredis et samedis : les 4, 5, 11, 12, 18 et 19 à 19h30 // les 25 et 26 à 21h30
En juin, les mercredis et jeudi : les 6 et 7 à 21h30 // les 13, 14, 27 et 28 à 19h30
Réservations : 01.48.03.49.92
5, passage de Thionville – 75019 Paris – M° Crimée ou Laumière
Au Festival d’Avignon (Théâtre Au bout Là-bas)
Du 7 au 28 juillet 2012 à 13h50
Réservations : 06.99.24.82.06
23, rue Noël Biret – 84000 Avignon
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