Les affaires sont les affaires au théâtre du Vieux-Colombier
Une critique féroce de la société
Sous des semblants de Monsieur Jourdain raillé de tous à son insu, Isidore Lechat est effectivement un inculte parvenu mais il l’avoue et même le revendique, et ce pour mieux vanter les mérites de sa conception de la réussite. Il prône le travail, y compris à ses employés qu’il exploite et à ces pauvres qui ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, et tous les moyens sont permis pour arriver à ses fins. A la tête d’un empire financier, grand patron de presse, c’est à présent le pouvoir politique qu’il vise avec cynisme et sans le moindre intérêt pour son prochain. Isidore Lechat est omniprésent et condense tout ce que Mirbeau dénonce : l’exploitation de l’homme par l’homme, la domination des sphères affairistes sur le peuple, l’ignorance, l’hypocrisie cléricale, la corruption du pouvoir, les manœuvres électoralistes. C’est tout un système et son organisation auquel il s’attaquait avec virtuosité, faisant écho avec talent au monde contemporain. Comment ne pas voir la justesse du discours de Mirbeau lorsqu’il aborde les conflits d’intérêts, les suicides et les inégalités engendrés par un système économique qui régit la société comme on gère une entreprise. Ce constat est bien pessimiste comme le confirme la fin tragique, et pourtant rien ne semble pouvoir stopper Isidore Lechat.
Une mise en scène de la noirceur
Gérard Giroudon interprète avec brio un Isidore Lechat dans toute sa démesure, un homme qui par ses excès et ses idées farfelues fait rire. Malgré cela, la mise en scène et la scénographie très sobres imposent un rythme lent et irrégulier qui coupe les élans comiques. Certes le propos est cruel, mais le parti pris de Marc Paquien entraîne des lenteurs parfois gênantes. L’espace est quasi vide, froid, le décor minimal, et quelques éléments de modernité donnent l’impression d’une volonté d’actualisation. Bien que Marc Paquien s’en défende, son choix a pourtant été de faire du fils d’Isidore Lechat un jeune homme tout droit sorti de la jeunesse dorée parisienne des années 2000. Les personnages de Mirbeau sont des caractères à la manière de Molière et ils auraient gagné à être envisagés comme tels, vifs et drôles avant tout.
Outre l’appréciation que l’on peut avoir de ces choix de Marc Paquien, on ne peut que reconnaître en Mirbeau un véritable visionnaire et être bluffé par tant de réalisme quant au devenir de la société. C’est tout un système qu’il a perçu comme menant irrémédiablement aux inégalités, à la misère et à la violence où seuls ceux qui se révoltent et parviennent à s’échapper ont une chance d’être libres, à l’instar de la fille d’Isidore Lechat qui s’enfuit avec l’homme qu’elle aime.
Cassandre Bournat.
Les affaires sont les affaires
Avec Gérard Giroudon, Claude Mathieu, Michel Favory, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Adrien Gamba-Gontard, Gilles David, Chloé Schmutz
Du 30 mars au 24 avril 2011
Théâtre du Vieux-Colombier
21, rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
Métro Saint-Sulpice (4), Sèvres-Babylone (10, 12)
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