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“León, Lightfoot, Van Manen” : un trio de l’excellence à l’Opéra Garnier

Hélène Kuttner 20 avril 2019
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© Agathe Poupeney

Trois chorégraphes issus du Nederlands Dans Theater débarquent à l’Opéra de Paris avec deux éblouissantes créations, Sleight of Hand et Speak for Yourself de Sol León et Paul Lightfoot, et une reprise d’un classique de leur maître, les Trois Gnossiennes d’Erik Satie par Hans van Manen. Dans ce programme d’une heure et demie, la virtuosité se mêle à la force tragique de l’émotion que les danseurs magnifient. 

Magie d’un tour de passe-passe

© A. Poupeney

Mais qui sont-elles, ces deux divinités perchées sur des promontoires, le visage sévère, blanchi par la lumière, qui surveillent le plateau noir de leurs bras menaçants ? Saisissante vision esthétique et théâtrale que ces géants divins, maîtres du temps, du paradis et de l’enfer, “Big Brother” contemporain, qui arbitrent imperturbablement les entrées et sorties de personnages vêtus de noir et de blanc, comme des cartes à jouer ! La musique entêtante de Philippe Glass martèle le tempo d’une atmosphère angoissante et mystérieuse. D’une férocité animale, sauvage, Léonore Baulac, Germain Louvet et Mickaël Lafon exécutent une chorégraphie surprenante, rigueur classique mais enchaînements de corps qui vrillent ensemble, se griffent dans des escarmouches passionnelles. Cette danse-là est vibrante d’une impulsivité électrique, d’une férocité et d’une sensualité magnétiques, marque artistique du couple Sol León et Paul Lightfoot qui allient passion ibérique et humour anglais.

Élégance suprême de Van Manen

© E. Bauer

C’est l’un des maîtres de la danse néerlandaise et son duo amoureux sur les Trois Gnossiennes d’Erik Satie est toujours aussi élégant. D’une précision mathématique, cette fantaisie sur la relation amoureuse qu’accompagne au piano sur scène Elena Bonay déploie dans une pureté et une élégance suprêmes toutes les figures géométriques du désir, de l’éloignement et de la séparation. Ludmila Pagliero, ardente et tendue comme un arc vers une perfection humaine, projette son corps gracile, élastique et mouvant comme un jonc dans l’ombre solaire d’Hugo Marchand, silhouette d’Apollon taillée dans le marbre, qui conjugue la fraîcheur d’une jeunesse spontanée à la grâce de l’artiste accompli. Dans des lumières bleutées, la délicatesse de la tonalité en fa mineur dessine un paysage intime et grave que les interprètes illuminent par leur talent, une danse néoclassique nourrie d’abstraction et de mysticisme.

Le mariage de l’eau et du feu

© A. Poupeney

Speak for Yourself est peut-être la pièce la plus spectaculaire et la plus bouleversante. Sur un plateau baigné d’une pluie de plus en plus dense comme la mousson, un premier homme, François Alu, fait vriller son corps dans des volutes de fumée tel Vulcain découvrant le feu. Enivré par ce principe de puissance et de créativité, il tournoie sur la musique de Steve Reich avant de s’immobiliser, tandis que d’autres danseurs, le corps moulé dans des justaucorps gris métal, prennent place sur la scène alors que l’on entend L’Art de la Fugue de Bach. Sculpturale et terrestre dans des lumières orangées, la chorégraphie joue avec l’eau qui descend des cintres et qui inonde les danseurs. Une impression de déluge et de naissance à la fois se dégage de ce tableau, alors que la danse, d’une maîtrise parfaite, se fait de plus en plus créative, viscérale, charnelle : glissades au sol, pirouettes amorties, dos, bras et jambes qui dessinent les parenthèses d’un temps antérieur ou futur. Comme l’activité d’un volcan en irruption et en décompression, le groupe de danseurs agit comme une force tellurique, pour dire la vie puis l’éternité. C’est puissant et superbe. 

Hélène Kuttner

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