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Lehman Brothers, une saga qui vous concerne

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Chapitres de la chute

Saga des Lehman Brothers

De Stefano Massini

Mise en scène de Arnaud Meunier

Avec Jean-Charles Clichet, Philippe Durand, Martin Kipfer, Serge Maggiani, Stéphane Piveteau, René
Turquois

Jusqu’au 29 mai 2016 à 19 h, dimanche à 15h
relàche les lundis et le 15 mai 2016

Tarifs : de 16€ à 40€

Réservations en ligne ou par tél : 01 44 95 98 21

Durée : 3h40 avec entracte

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D.Roosevelt
75008 Paris
Métro Franklin Roosevelt

www.theatredurondpoint.fr

Jusqu’au 29 mai 2016

En trois épisodes étirés sur 3h40, cette saga des Lehman Brothers est celle d’une famille que tout le monde connait depuis 2008. Mais derrière la crise provoquée par la faillite de cette banque célèbre, s’écrit l’histoire de trois frères partis de rien et qui bouleversent le monde.

leh2La reprise de cette pièce en montre l’actualité toujours aussi vive, car les données économiques actuelles sont les contre-coups violents d’un système sans état d’âme. Et de cette absence de principes en matière capitaliste, les frères Lehman sont un symbole. Mais entre les débuts de cette fratrie ambitieuse et leur arrivée au sommet d’un empire, la progression d’une famille avec ses hauts et ses bas, sa vie intime et ses aspirations personnelles viennent ici prendre chair. L’auteur Stefano Massini suit la trajectoire pas à pas des Lehman venus de Bavière où ils étaient éleveurs et marchands de bestiaux. Les trois chapitres se découpent très logiquement en trois pans qui sont les débuts en Alabama dès 1844, puis la coupure avec la crise de 1929 à New-York et la modernité synonyme de grande dégringolade qui s’achève en 2008. La trame reste concentrée sur le noyau familial, donnant ainsi à suivre humainement une aventure aux effets inhumains si l’on en juge par la crise qui a frappé les peuples à travers le monde.

Les trois frères qui débarquent au 19e siècle à Montgomery sont imbibés de leur tradition juive, intrépides et travailleurs. Ils possèdent la force de l’union familiale mais ne disposent pas d’autre bagage que leur courage et leur volonté. Ensemble, ils montent une petite boutique de tissus dans laquelle ils se relaient et ne comptent pas les heures, conjuguant leurs talents, l’un étant la tête, l’autre le bras, le troisième l’intermédiaire cocasse et efficace. D’emblée, le spectateur est ainsi au coude à coude avec Emanuel, Henry et Philip, braves émigrés qui forcent l’admiration tant ils regorgent de bon sens et d’audace. L’auteur entraine le public au plus près de l’épopée familiale et au fil du temps, malgré l’ampleur des vicissitudes, on demeure sous le charme de cette ambiance de fratrie dont on suit les épisodes personnels, mariages, naissances, joies et déboires, maladie, mort.

leh4Alors que la guerre de Sécession aurait pu mettre rapidement fin à la modeste affaire, les événements vont au contraire devenir pour les Lehman source d’opportunités, tant le trio déborde de capacités à rebondir et à faire feu de tout bois. Ils prennent des risques et démontrent une fabuleuse capacité à  entreprendre. S’ils se retrouvent à New York, c’est qu’ils ont osé convaincre, lancer de périlleuses idées et investir contre vents et marées, même après la disparition prématurée de l’un d’eux. Chacun de nous connait bien sûr déjà la fin de cette épopée, mais la pièce maintient en haleine en prenant un angle inattendu, non pas à charge caricaturale envers des capitalistes, mais en proposant des portraits emportés dans le tourbillon de la vie, en suivant des individus qui comme chacun de nous souhaitent forger leur confort et leur bonheur, sauf que, comme cela arrive quelquefois à d’autres familles, ils perdent progressivement leurs valeurs fondamentales. Le rite religieux s’effiloche, alors qu’au-delà de la croyance, il cimentait les Lehman. De même, le goût de l’effort personnel petit à petit disparait sous la fortune qui fait perdre les notions de réalité. Au final, et cela peu le savent, quand la banque des Lehman s’est effondrée il y a peu, elle n’était plus dans les mains d’un descendant de la famille. Machine folle, elle avait échappé à ses créateurs qui eux-mêmes s’étaient perdus dans l’appât du gain, en oubliant de fonder une famille alors que là résidait peut-être la puissance initiale de cette réussite extraordinaire.

Le metteur en scène Arnaud Meunier crée une atmosphère sans clinquant, sobre, où agissent
des personnages sympathiques, ayant de l’humour et passant du « il » au « je » à travers une narration fluide. Pour un peu, on en oublierait la rapacité tant les apparences sont bon enfant, glissant sur une tonalité discrète et fondue. La partition alterne les points de vue avec souplesse et l’incroyable aptitude des Lehman à inspirer confiance dans leurs projets parvient même à séduire le public et nous laisse interloqués par tant d’ingénuité culottée. Le plateau est peu chargé, oscillant du décor d’une échoppe à celui de la Bourse en maintenant une dominante de couleur grise et beige. C’est toute la puissance de ce spectacle de ne pas être violent ni sanguinaire. Il montre à échelle humaine le glissement d’un univers chaleureux à un monde féroce qui est celui d’aujourd’hui, dominé par la finance au point d’en effacer les histoires intimes. La famille Lehman a elle-même disparue sans presque s’en rendre compte, lentement et tragiquement oublieuse de ses racines. Les comédiens sont impressionnants de simplicité et de naturel. Ils endossent plusieurs rôles, traversant les générations, s’adaptant à l’époque, aux soubresauts du destin, aux guerres, aux détails des existences comme aux pires catastrophes. Le fait qu’ils incarnent à la fois les pères et les fils colle formidablement à l’esprit de la pièce qu’ils habitent talentueusement de bout en bout, pour nous maintenir touchés, haletants, perplexes et profondément interrogés.

Emilie Darlier

[ photos : ©Jean-Louis Fernandez]

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