“Le Voyage dans la Lune” : une féérie fantastique à l’Opéra Comique
Comment mettre en valeur la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, de jeunes interprètes âgés de 8 à 25 ans, dans une production qui puisse les mettre tous en valeur ? Sous l’impulsion d’Olivier Mantéi, ex-directeur de cette prestigieuse maison, le metteur en scène Laurent Pelly et sa dramaturge Agathe Mélinand ont adapté cet opéra bouffe de Jacques Offenbach dans une version entre rêve et cauchemar contemporain, avec l’Orchestre des Frivolités Parisiennes dirigé par la dynamique Alexandra Cravero. Une réussite totalement réjouissante qui séduira tous les publics.
Un Roi dépassé sur une terre polluée
Des montagnes de bouteilles en plastique multicolore cernent une scène gluante de polystyrène, l’image de notre planète abîmée par la pollution, sur laquelle règne un roi de pacotille, dépassé par l’époque et moqué par son fils. Après l’ouverture flamboyante de l’Acte I, dirigée par l’alerte et précise baguette de la cheffe Alexandra Cravero, le rideau se lève sur un ballet de jeunes cadres dynamiques en costume gris anthracite, lunettes sur le nez, sérieux comme des papes et pianotant sur leurs Iphone. Les jeunes interprètes de la Maîtrise Populaire, sous la houlette de Sarah Koné, sont formés à l’excellence pédagogique de la méthode Dalcroze. Ils savent tout faire et Laurent Pelly, qui signe aussi les costumes, chorégraphie avec une précision d’horloger suisse cette troupe de jeunes artistes embarqués entre Terre et Lune. Tiens, voilà Caprice, le fils du Roi V’lan, dans un costume orange vif, qui s’ennuie sec sur la Terre et ne rêve que d’une chose : aller voir la Lune.
L’influence de Jules Verne
En 1875, l’influence de Jules Verne, le goût retrouvé des grands spectacles et des opéras féériques poussa Offenbach et ses librettistes Leterrier et Mortier à composer une oeuvre extravagante, satirique et humoristique, pour divertir le public fasciné par ces autres planètes encore inconnues, fantasmées. Dans cette production, le prince Caprice rêve d’un autre monde, d’une Lune parfaite et idéale. La scénographie de Barbara de Limburg oppose une Terre envahie de déchets, au ciel noir, à une Lune blanche comme un glacier inaccessible, dont les habitants Les Sélénites prennent soin avec un mode de vie précautionneux et maniaque. Des costumes hallucinants, aux formes arrondies et aux accessoires satellitaires, habillent ces êtres surnaturels et purs qui se défendent du virus dangereux de l’amour. Le Roi Cosmos et la Reine Popotte veillent au grain et redoutent les envahisseurs terriens : le Prince Caprice, son père V’lan et son intendant Microscope sont projetés comme des obus sur la Lune, et seule la lunaire princesse Fantasia est amoureusement émerveillée par l’arrivée de Caprice.
La folie de la jeunesse
L’arrivée sur la Lune, la gaieté de ces grappes de jeunes sur la plateau et leur fraîcheur créent une effervescence que le brio de la musique d’Offenbach, sa légèreté et sa gaieté viennent ici porter à leur incandescence. Seul adulte dans ce casting adolescent, Franck Legérinel excelle dans le rôle du vieux Roi totalement perché. Arthur Roussel interprète avec finesse et malice le Prince, bien qu’à la première sa projection vocale soit encore insuffisamment timbrée. Mateo Vincent-Denoble (Microscope), Enzo Bishop (Cosmos), Violette Clapeyron (Flama), Rachel Masclet (Popotte) et Micha Calvez-Richer (Cactus) sont formidables d’audace et de drôlerie, chantant et dansant comme les Demoiselles d’Honneur. Dans le rôle de la Princesse, Ludmila Bouakkaz parvient à parfaire la composition de son personnage avec un tempérament dramatique épatant, un humour décapant, et une voix assurée de soprano qui varie habilement les registres. Un talent à suivre donc de très près ! On ne racontera pas la fin, l’explosion du cratère après avoir croqué la pomme. Mais on conseillera à tous d’embarquer sans attendre dans ce superbe voyage.
Hélène Kuttner
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